Cet article appartient au dossier sur la forfaitisation du stationnaire privé. Retrouvez ici le premier article qui présente les conséquences d'un tel système pour les médecins et les patients, ainsi que la meilleure façon de s'organiser pour le corps médical.

Le régime actuel de rémunération

Le régime découlant de l’assurance obligatoire des soins (AOS)

En cas d’hospitalisation à charge de l’assurance obligatoire des soins (AOS) selon la Loi fédérale sur l’assurance maladie (LAMal), l’assureur maladie indemnise les prestations effectuées dans les limites du catalogue de prestations défini par la loi. Sont couvertes les prestations médicales et le séjour correspondant au standard de la division commune. La loi considère que le fournisseur de toutes les prestations effectuées est l’hôpital. Ce dernier doit figurer dans la liste hospitalière établie par un canton et disposer d’un mandat de prestations pour prendre en charge l’hospitalisation envisagée. Celui-ci est donc censé prendre à sa charge l’intégralité des coûts d’infrastructure et de personnel nécessaires dans le cadre de l’hospitalisation. Il est par ailleurs seul en droit de facturer ses prestations à l’assureur maladie.

Depuis l’introduction du nouveau financement hospitalier, la loi impose que la rémunération de ces prestations intervienne en principe sur la base d’un forfait par cas. Celui-ci est déterminé par la structure tarifaire SwissDRG valable pour toute la Suisse.

De par la nature impérative de la loi, les assureurs maladie ne peuvent en aucun cas prendre en charge des prestations non couvertes par la loi, les payer en tout ou en partie à un autre fournisseur de prestations tel que le médecin ou verser une rémunération excédant le montant du forfait par cas déterminé par la structure tarifaire SwissDRG et la convention tarifaire fixant la valeur du point entre les assureurs-maladie et l’hôpital concerné.

L’hôpital est donc légalement le fournisseur global de toutes les prestations, y compris celles effectuées par des médecins. Ces derniers sont rémunérés par l’hôpital. Pour les hôpitaux publics, les médecins bénéficient en règle générale d’un statut défini par la loi applicable à l’établissement qui fixe, entre autres, la rémunération. Pour les hôpitaux privés, les conditions de rémunération découlent en revanche du contrat librement conclu et négocié entre le médecin et l’hôpital. Peu importe donc la nature du contrat (travail ou mandat), la rémunération du médecin pour ses actes dépend d’une négociation individuelle entre le médecin et l’hôpital. Celle-ci ne découle aucunement d’un tarif fixé par la LAMal.

Le tarif négocié par l’ASMI, qui a pour objectif de déterminer la part servant à indemniser les prestations du médecin, ne repose pas sur la loi. Ni les médecins, ni les hôpitaux, ne sont légalement tenus de s’y référer pour fixer la rémunération du médecin. Ce tarif n’est applicable que si le contrat conclu entre l’hôpital et le médecin s’y réfère.

Assurance maladie complémentaire

Comme indiqué plus haut, en cas d’hospitalisation, l’assurance obligatoire des soins (AOS) ne couvre que les prestations déterminées par la LAMal qui sont effectuées par un fournisseur autorisé. Il est cependant admis qu’une assurance maladie complémentaire couvre des prestations médicales allant au-delà de celles qui sont normalement couvertes par l’AOS.

S’agissant d’une hospitalisation, une telle prestation supplémentaire existe lorsque le patient séjourne dans une chambre dont le confort dépasse celui du standard de la division commune. Le surcoût afférent à cette prestation peut donc être facturé au patient et, lorsque ce dernier a souscrit une police d’assurance maladie couvrant cette prestation supplémentaire, remboursé par l’assureur complémentaire. Dans le régime de l’assurance de base, l’assuré dispose du libre choix de l’hôpital, mais pas du médecin. Le libre choix du médecin est donc une prestation complémentaire dont le surcoût peut également être facturé au patient qui pourra ensuite se faire rembourser dans les limites de sa police d’assurance maladie complémentaire.

Contrairement à ce qui prévaut dans le domaine de l’assurance obligatoire des soins selon la LAMal, l’assurance maladie complémentaire est une assurance couverte par la loi fédérale sur le contrat d’assurance (LCA). La couverture de l’assurance maladie complémentaire n’est pas définie par la loi mais par les parties au contrat d’assurance, à savoir le patient assuré et l’assureur maladie complémentaire.

Le principe de la liberté contractuelle fait que la couverture de chaque produit d’assurance complémentaire diffère. A la différence de l’assurance obligatoire des soins, qui repose sur un catalogue de prestations défini impérativement par la loi, l’assureur maladie complémentaire peut choisir le risque assuré et par conséquent les prestations médicales qu’il remboursera au patient. On peut ainsi imaginer qu’un assureur s’engage à couvrir les frais d’hospitalisation dans tout hôpital ou que dans certains hôpitaux prédéterminés.

L’assurance maladie complémentaire n’étant pas obligatoire, l’assureur maladie doit convaincre le patient de l’utilité de son produit. Or, limiter le choix de l’hôpital et, surtout, du médecin est contradictoire avec le but recherché par le patient lorsqu’il conclut ce type de contrat. La prestation complémentaire qu’il cherche à assurer est en effet le libre choix du médecin et le confort supplémentaire. La limitation de la couverture à certaines cliniques ou à certains médecins comporte donc des risques commerciaux qu’il ne faut pas sous-estimer. Compte tenu du prix de l’assurance de base, les patients pourraient renoncer à payer une prime d’assurance maladie complémentaire si celle-ci ne garantit plus le libre choix du médecin.

Par rapport au régime de l’assurance obligatoire des soins (AOS), le régime juridique applicable à la prise en charge des frais est sensiblement différent. Comme on vient de le voir, il n’existe pas de catalogue de prestations couvertes. L’identité du fournisseur de prestation et le montant de la rémunération ne sont par ailleurs pas déterminés par la loi. Contrairement au régime découlant de la LAMal, l’hôpital n’est pas le prestataire global en charge de l’intégralité des prestations utiles en cas d’hospitalisation. Si la prestation médicale est faite et facturée au patient par le médecin alors que l’hôpital ne se charge que de la prestation hôtelière, des soins infirmiers et de la remise des médicaments ou des moyens et appareils, il n’y a aucune raison que l’hospitalisation donne lieu à une facture globale. D’autre part, le montant de la rémunération n’a pas nécessairement à intervenir sur la base d’un forfait calculé sur une structure tarifaire telle que SwissDRG.

Ces différences sont essentielles. Elles expliquent que les médecins puissent facturer et déterminer librement le montant de leurs honoraires sans que l’hôpital dans lequel séjournent leurs patients ne puisse interférer.

Les motifs avancés pour justifier un changement

Lorsque le patient dispose d’une couverture d’assurance maladie complémentaire, il ne perd pas pour autant son statut d’assuré couvert par la LAMal. L’assureur maladie selon la LAMal paie donc des prestations y compris lorsque le patient a conclu une assurance maladie complémentaire.

Lorsque l’hôpital dispose d’un mandat de prestations, l’hôpital facture l’entier du forfait par cas conformément à la structure tarifaire SwissDRG. Ce montant est couvert à raison de 45% par l’assureur maladie. Le canton paye le reste du forfait, soit 55%. L’hôpital facture ensuite un complément à l’assurance maladie complémentaire. Le médecin facture de son côté ses honoraires qui sont remboursés par l’assurance maladie complémentaire du patient.

Lorsque l’hôpital ne dispose pas d’un mandat de prestations, l’assureur maladie selon la LAMal verse en général 45% du forfait SwissDRG. La loi autorise la conclusion de conventions tarifaires avec les hôpitaux qui ne disposent pas d’un mandat de prestations. L’hôpital facture un complément plus important à l’assureur maladie complémentaire. Le médecin facture ses propres honoraires qui sont remboursés par l’assurance maladie complémentaire.

Cette manière de procéder n’a jamais posé de problème particulier. Elle est désormais remise en cause pour des motifs tenant essentiellement à la lisibilité du coût des prestations. Lorsque l’hôpital dispose d’un mandat de prestations, il reçoit une rémunération qui est censée couvrir toutes les prestations effectuées selon la LAMal, y compris celle du médecin. Lorsqu’il ne bénéficie que d’une convention, il reçoit 45% de ce montant. La logique voudrait d’une part que le médecin et l’hôpital déduisent chacun de leur facture la part de rémunération versée par l’assureur maladie selon la LAMal et ne facture à l’assureur maladie que le complément correspondant aux prestations complémentaires que sont, d’une part, le confort supplémentaire et, d’autre part, le libre choix du médecin.

La situation des médecins

Si les médecins semblent exclus de la négociation, ce changement de système de facturation présenterait un grand danger pour leur pratique professionnelle. Modifier le régime actuel pour qu’il corresponde à celui qui prévaut dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins aurait plusieurs conséquences. L’hôpital deviendrait un intermédiaire chargé de facturer tant ses propres prestations que celles du médecin. Il faudrait ensuite que le médecin et l’hôpital s’entendent sur la manière de se partager cette rémunération globale. Or, chaque acteur a un intérêt à ce que la part de l’autre soit la plus faible possible. Un régime de forfaitisation implique donc une négociation nouvelle entre hôpitaux et médecins, négociation qui n’existe pas actuellement.

Une baisse de la rémunération des médecins est donc probable. La concentration de la propriété des hôpitaux entre quelques acteurs permet en effet à celles-ci d’imposer plus facilement leurs conditions financières aux médecins. Même sans qu’il existe une entente de type cartellaire, le fait que les hôpitaux privés se fassent imposer un régime de rémunération globale implique que les médecins auront perdu le droit de décider du montant de leurs honoraires et seront contraints d’accepter les conditions financières que les hôpitaux voudront bien leur offrir.

Il est par ailleurs possible que les hôpitaux décident de traiter de manière différenciée les médecins en fonction par exemple de leur chiffre d’affaires. Une rémunération différenciée des médecins pour le même acte est donc envisageable. On risque d’observer une situation de concurrence entre les médecins. Ceux possédant une grande renommée attireraient les cliniques, en raison du nombre important de patients qu’ils ramèneraient. Il leur serait donc plus facile de négocier une répartition du forfait avantageuse, justifiée par leur ancienneté. Du côté des jeunes médecins en revanche, la part des honoraires proposée par la clinique serait à leur désavantage. En raison de la même logique appliquée par tous les établissements privés, les jeunes professionnels n’auraient pas d’autre choix que d’accepter les conditions des cliniques, devenant ainsi leurs salariés. Une dynamique qui entraînerait un dumping salarial dans le corps des médecins indépendants.

La modification fait par ailleurs passer le médecin d’un régime dans lequel les conventions sont plutôt exceptionnelles à un régime entièrement conventionné. Or, ces conventions tarifaires sont négociées et renégociées sans cesse. En incluant les honoraires afférents aux prestations médicales dans un forfait, on peut s’attendre à ce que la rémunération soit moins stable. Il n’est en outre pas certain que les hôpitaux soient en mesure de maintenir le niveau de rémunération actuelle dans le cadre des négociations avec les assureurs.

De son côté, la clinique subit une pression énorme de la part des assureurs. En raison de la concentration de ce marché, refuser une proposition d’un des quatre grands groupes d’assurances reviendrait à perdre 25% des assurés. La pression au rendement des assurances sur les cliniques se répercuterait sur les médecins, qui se trouveraient en position de faiblesse au moment de négocier la part du forfait qui leur sera attribuée. Afin de maximiser leur part de l’enveloppe, les cliniques n’auraient aucune incitation à bien rémunérer le médecin.

La modification du régime pose de surcroît un problème de représentativité des médecins. Les sociétés cantonales de médecins ne participent pas aux négociations en cours. Or, les médecins sont des prestataires à part entière dans le régime de l’assurance maladie complémentaire. C’est à eux qu’il doit revenir la décision de conclure une convention tarifaire et, le cas échéant, de décider de qui représentent leurs intérêts.

Le danger principal à court terme est la perte de l’indépendance du médecin. D’une part, ce dernier ne pourra plus décider de ses honoraires. D’autre part, il risque de devenir à terme dépendant de l’hôpital dans lequel il exerce, ce dernier pouvant par exemple proposer des conditions plus ou moins avantageuses selon l’importance du chiffre d’affaires. Du point de vue de l’AVS, le médecin pourrait n’avoir plus qu’un seul client, à savoir l’hôpital dans lequel il exerce, alors qu’il facture aujourd’hui ses honoraires à tous ses patients. Ceci pourrait remettre en cause le caractère indépendant de la pratique professionnelle au sens du droit fiscal et des assurances sociales.