Notre système de santé est-il en crise ?

Philippe Eggimann (PE) : Non, le système de santé suisse est solide et performant. La pandémie de Covid-19 nous a montré qu’il avait une capacité d’adaptation et une résilience exceptionnelles. La Suisse a absorbé les vagues de pandémies plus importantes avec des conséquences moins graves en termes de morbidité et de mortalité que ses voisins. Concernant l’accessibilité et la performance, notre système de santé est l’un des meilleurs, sinon le meilleur, au monde. Qui que vous soyez, où que vous habitiez et quel que soit votre statut social, vous aurez toujours accès aux soins que nécessite votre situation, dans les meilleurs délais.

Il serait intéressant d’agir sur les charges administratives et la complexité des contrôles

N’y a-t-il donc aucun problème ?

PE : Si ! La répartition du financement du système de santé, elle, est en crise. Les prestations ambulatoires qui se développent rapidement sont entièrement prises en charge par les assurances, alors que, pour les traitements stationnaires, les frais sont partagés avec les cantons. Ce manque d’équité explique pourquoi l’augmentation des primes d’assurance est plus rapide que celle des coûts globaux de la santé.

Une manière intelligente de repenser le financement serait de regarder objectivement de quoi sont constituées les dépenses globales de santé. La contribution des collectivités publiques doit être orientée vers les secteurs où les coûts sont particulièrement élevés, tels que les soins à la population âgée. Bien que les personnes âgées de 60 à 80 ans ne représentent que 19% de la population, elles génèrent 37% des dépenses de santé. Et les plus de 80 ans, (seulement 5% de la population) pèsent pour 19% des coûts. On pourrait donc imaginer une prise en charge par les cantons et la Confédération proportionnellement plus importante que les primes d’assurance pour ces populations. Les primes retrouveraient alors un niveau, et surtout une croissance, proportionnels aux coûts réels de la santé.

Outre le problème de répartition du financement, n’y a-t-il pas une crise du coût de la santé ?

PE : Effectivement, en 15 ans, les primes d’assurance-maladie ont augmenté en valeur absolue de 250 francs par mois et par personne. Mais, dans la même période, les salaires ont augmenté de 1200 francs. Il faut donc relativiser. Selon l’Office fédéral de la statistique, depuis janvier 2020, l’indice des prix à la consommation concernant le secteur de la santé a légèrement baissé, alors que celui des transports a explosé, et que les autres, tels que le logement, la nourriture ou les loisirs, ont tous augmenté. Si l’on veut maintenir l’accessibilité et la qualité des soins, il va falloir accepter une augmentation des coûts. On ne pourra certes pas l’empêcher, mais il faudra néanmoins veiller à l’encadrer et la rendre plus tolérable.

Existe-t-il néanmoins des solutions visant à restreindre l’augmentation des coûts ?

PE : Si l’on souhaite maintenir l’accessibilité et la qualité des soins de qualité, il sera impossible de diminuer les coûts. Néanmoins, il serait intéressant d’agir sur les charges administratives et la complexité des contrôles qui pèsent sur les médecins et les soignants. Les contrôles et les régulations évitent certes les abus et ainsi les surcoûts, mais, s’ils sont trop nombreux on observe l’effet inverse. De nombreux médecins me disent qu’ils consultent moins qu’avant parce qu’ils consacrent une journée entière par semaine à répondre aux demandes des assureurs et à gérer des tâches administratives. Cette situation est regrettable car ils en viennent alors à refuser des patients, faute de temps. Il faudrait songer à faire le ménage et supprimer les régulations qui apportent peu de valeur ajoutée.

Certains appellent à un rationnement des gestes ou traitements qui seraient trop coûteux et peu efficaces. Pensez-vous que cela soit une bonne idée ?

PE : Oui, mais il faut d’abord définir ce qui est trop coûteux et ce qui est inefficace. Le but ne doit jamais être le rationnement. La « smarter medicine » a été développée dans cette optique. Ce concept préconise de ne pas recourir aux examens et aux traitements dont l’utilité ou l’efficacité est limitée et/ou discutée. Vingt-quatre sociétés de discipline médicale en Suisse adhèrent à ces principes et ont édicté des propositions concrètes. L’objectif est d’adapter le traitement à chaque patient, en prenant en compte ses besoins, sa situation et ses demandes, pour limiter ainsi une surenchère médicale. C’est finalement de la médecine personnalisée. Néanmoins, expliquer au patient qu’il n’a pas forcément besoin d’une IRM prend parfois plus de temps que de remplir le bon de délégation pour l’envoyer chez le radiologue. Il faut donc réfléchir à des solutions qui donnent aux médecins les moyens et le temps d’appliquer les principes de la « smarter medicine ».

Une autre solution mise en avant pour diminuer les coûts est de promouvoir le recours aux médecins de famille. Avec le modèle « médecin de famille » par exemple, les assureurs incitent les assurés à consulter leur généraliste avant de s’adresser à tout spécialiste. Que pensez-vous de cette solution ?

PE : Le problème est que 20 % des médecins de famille vont prendre leur retraite dans les 5 à 7 ans à venir, et 40 % d’ici 15 ans. Contraindre à toujours consulter au préalable le médecin de famille rajoute des consultations inutiles, ce qui diminue le temps disponible pour les autres consultations, aggravant ainsi la pénurie. Il faut se méfier des effets collatéraux des mesures mises en place pour réduire les coûts. Celles-ci doivent être évaluées afin de déterminer si elles doivent être maintenues, développées ou abandonnées.

Auteurs

Philippe Eggimann
Président de la Société médicale de la Suisse romande (SMSR) et vice-président de la FMH
Chemin de Mornex 38
1003 Lausanne
philippe.eggimann@svmed.ch

Sophie Lonchampt