Vingt ans après, les mêmes mots apparaissent comme criants et douloureux. La rareté, c’est-à-dire la pénurie médicale, est là. C’est une certitude. La faillite des systèmes d’urgences et l’impossibilité pour de nombreux médecins de pouvoir transmettre leur cabinet médical en sont la preuve palpable : une faillite globale. Cet hiver montre où en est arrivé notre système de santé et son niveau de déliquescence. Qualité et accès, nos maîtres-mots, pourraient ne devenir que de pieux souvenirs. Et que dire de la volonté fédérale d’imposer un rationnement des soins via un funeste budget global combattu avec force ou de la sécurité de l’approvisionnement qui inquiète de plus en plus.

Genève se rêve en élève modèle, mais le constat est sans appel : c’est brouillon. Imposer une clause du besoin sans perspectives ni vision liées à la pyramide des âges de la population et des professionnels de la santé, c’est amener l’entier du système directement dans le mur. Gouverner, c’est prévoir. Un inventaire bâclé, de piètre qualité, dont les équivalents plein-temps fournis par la direction du Département de la santé restent peu compréhensibles, lacunaires et inquiétants quant à la rigueur statistique normalement exigée dans un tel dossier. La prise en compte du vieillissement de la population, du nombre de médecins qui partiront à la retraite en raison de leur âge, du ras-le-bol des lourdes contraintes administratives et de la sursaturation de leurs consultations ou de l’intensité du rythme de travail, est essentielle. Ce n’est qu’en intégrant ces éléments et d’autres comme le développement de l’interprofessionnalité que nous aurons la photographie tant désirée. Un instantané non pas de l’instant présent, mais de celui qui nous permettra de ne pas tomber dans la gestion de la rareté ou du rationnement.

Pas plus rassurant, l’Observatoire suisse de la santé (OBSAN), dans son rapport de mai 2022 sur la base de nombres maximaux dans les soins médicaux ambulatoires, indique : « Le taux de couverture ne peut être interprété comme une mesure de l’insuffisance ou de la surabondance de l’offre que si l’on part du principe que l’offre ambulatoire actuelle dans toute la Suisse se situe à un niveau optimal. Dans la majorité des cas, cette hypothèse est sujette à caution. C’est pourquoi, un taux de couverture inférieur ou supérieur à la moyenne ne permet pas de conclure à une offre insuffisante ou surabondante. » On nage en plein flou et, malgré les signaux d’alerte, on persiste à imposer et diviser plutôt qu’à intégrer et réunir.

Vouloir attribuer un droit de pratique lié à une institution figurant dans la liste hospitalière, sans donner la possibilité à ce médecin d’obtenir un droit à facturer en ambulatoire est un non-sens total. Dans quelle profession lie-t-on l’employé à l’employeur, dans quelle société n’y a-t-il pas de liberté professionnelle, pas de choix de pouvoir quitter son employeur sans risquer une fin de carrière ? Nous avons toujours défendu une médecine qui intègre tous les acteurs de la santé, qui réunit plutôt que divise, qui permet à chaque médecin de pouvoir travailler dans un milieu hautement professionnel dans notre canton tout en ayant la possibilité naturelle de pouvoir changer de lieu, d’objectif personnel ou de plan de carrière. On ne peut accepter qu’un médecin ne soit conditionné qu’à un lieu au risque de perdre son droit de pratique. Le droit de pratique et le droit de facturer doivent être valables pour tout prestataire qu’il soit hospitalier, en clinique, dans un centre médical ou installé en pratique privée en ville

À l’image de la valeur du point tarifaire, Genève a toujours prôné l’absence de différences dans le domaine ambulatoire. En 2004, lors de l’introduction du Tarmed, il avait été décidé d’une valeur commune pour le point tarifaire des HUG, des autres institutions et des médecins de ville. Cela reste unique en Suisse. Un bel état d’esprit et une volonté transmise à travers les années. C’est cet état d’esprit qui doit perdurer au risque d’entraîner des divisions et des prérogatives néfastes dans notre canton. Tous les acteurs de la santé sont au service de la population qui garde le libre choix de son médecin. L’ambulatoire est un et ne peut être vu comme différent selon les lieux d’exercice de la médecine. Oui, il existe de la concurrence et elle est saine. Déséquilibrer n’a pas de sens.

Le rêve d’une étatisation massive de la santé est en route. Luttons pour maintenir le côté libéral d’une profession exceptionnelle dans son rapport à l’autre, dans sa capacité à aider et à prendre soin, dans sa formation continue, véritable source de savoir et miroir de l’évolution permanente des connaissances scientifiques. La capacité d’une clinique, d’un centre médical de développer une spécialité, de devenir un pôle de compétences ne doit pas être broyée par la volonté étatique. La médecine indépendante est une force.

La relève de la médecine libérale s’apparente plus que jamais à un défi de santé publique majeur, ne l’oublions pas. Nous devrons savoir valoriser et choyer la formation dans nos institutions. Au cours des dix dernières années, seul un quart des nouveaux médecins a effectué sa formation en Suisse. Il est temps de regarder devant, de prévoir les places de formation pré et postgraduées, de les augmenter au risque de conséquences pour les patients en termes de prises en charge. Allons ensemble vers une médecine au service de toutes et de tous, combattons les attaques incessantes sur le système de la santé, au risque de ne gérer que la rareté ou le rationnement.

Source : Éditorial de La Lettre de l’AMGe de mars 2023