Il en va des réformes financières du secteur de la santé comme  d’une  planche  de  bois  dont  on  enfoncerait l’une des extrémités dans l’eau: l’autre se dresserait aussitôt en l’air. Et pourtant, les acteurs, quels qu’ils soient, n’en sont pas moins censés réussir l’exploit de maîtriser les coûts tout en garantissant une prise en charge médicale de haute qualité. En intervenant dans la structure tarifaire du secteur, le Conseil fédéral fait tout le contraire et n’obéit qu’aux intérêts politiques.

Des interventions arbitraires

En 2010, les spécialistes de la santé ont mis sur le métier la première réforme de Tarmed. Mettant de côté des facteurs  de  hausse  sur  lesquels  les  médecins  n’ont aucune  prise,  Santésuisse,  organisation  faîtière  des assureurs  maladie,  bloque  les  négociations  et  tente d’imposer une réduction unilatérale des coûts, entièrement supportée par les fournisseurs de prestations médicales. La FMH, Fédération des médecins suisses,s’y oppose et essaie de faire avancer la révision de Tarmed sans la participation de Santésuisse. Mais la révision capote, faute de terrain d’entente.

Dans l’intervalle, la FMH a mis en chantier un projet de réforme, ample et amélioré, appelé Tarco, dont le Conseil fédéral n’a pas voulu attendre le résultat, préférant remanier Tarmed à coup d’interventions arbitraires,  sans  lien  les  unes  avec  les  autres.  Objectif annoncé:  700  millions  de  francs  d’économies  par année à compter de 2018. Cela est-il réaliste? Nul ne peut le dire, aucun des chiffres qui permettraient d’en juger n’ayant été publié.

Le Conseil fédéral enfreint le droit

En intervenant de la sorte dans la structure du tarif des médecins – intervention au demeurant mal bâtie –,le Conseil fédéral enfreint le droit. Ainsi en a jugé début juin le tribunal cantonal lucernois dans son arrêt relatif à la première intervention tarifaire du Conseil fédéral, celle de 2014. Certes habilité à intervenir si les parties prenantes à la négociation ne parviennent pas à trouver de terrain d’entente, le Conseil fédéral n’a pas, en revanche, le droit d’ordonner des économies générales. Au contraire: il est du devoir de la Confédération de garantir la prise en charge médicale de toutes les catégories de la population, et ce pour toutes les maladies. Les économies doivent toujours être en relation avec la qualité et la disponibilité rapide des prestations  médicales.  Cela  n’était  pas  le  cas  lors  de  la première intervention tarifaire, en 2014, et ne l’est pas davantage pour l’intervention actuelle.

L’intervention tarifaire porte préjudice aux patients

Les gagnants de l’intervention tarifaire sont les assureurs maladie, qui sont même récompensés de la poli-tique de blocage qu’ils pratiquent lors des négociations Tarmed. Les perdants sont les médecins et les patients.En supprimant par exemple le forfait pour prestations fournies hors des heures de consultation, on retire aux centres d’urgences ambulatoires des régions rurales leur fondement économique. Il ne leur restera qu’à mettre la clé sous la porte ou à réduire leur offre de prestations et aux patients à s’adresser aux hôpitaux ou à appeler le 144. Résultat, moins de prestations pour les patients et des coûts en plus.

Autre exemple: les coupes concernant les prestations de spécialiste fournies en ambulatoire. Le temps imparti à la coloscopie, par exemple, a été massivement réduit. Le choix devant lequel le médecin se trouve placé est donc soit de travailler plus vite – au risque que ce soit au détriment de la qualité – soit d’adresser le patient à un hôpital en vue d’un séjour stationnaire.C’est-à-dire, là encore, des frais plus élevés, qui, tout compte fait, seront à la charge du patient.

L’activité non médicale des médecins est également touchée. L’intervention limite en effet la durée de la consultation proprement dite tout comme celle du travail effectué en l’absence du patient. Le médecin se voit donc contraint de consacrer moins de temps à s’entre-tenir avec les patients et les personnes de référence que sont les parents, les aidants ou d’autres médecins. Les grands perdants en seront les patients les plus fragiles: enfants, personnes âgées polymorbides, migrants et personnes atteintes de démence, de cancer ou de ma-ladies psychiques.

Ôter les coûts d’ici pour les mettre là

De plus en plus chères, les primes maladie constituent pour beaucoup de gens une lourde charge financière,et ce n’est pas par des économies unilatérales et de court  terme  que  le  Conseil  fédéral  résoudra  le  problème. La facturation Tarmed ne représente en effet que la septième partie de la totalité des dépenses de santé. La plus grande partie de celles-ci n’est donc pas concernée par l’intervention tarifaire. Au contraire:comme le montrent les exemples ci-dessus, les patients seront obligés d’avoir plus souvent recours à des traitements stationnaires. Or ceux-ci sont financés pour la plus grande partie par l’argent de l’impôt, ceci contrairement aux prestations ambulatoires, financées, elles,par les caisses-maladie. Il se pourrait donc que les économies visées par l’intervention tarifaire aient un impact positif sur les primes de ces caisses. Mais, les coûts étant simplement reportés sur le contribuable, la charge financière  n’en  sera  pas  allégée  pour  autant.  Si,contraints par la disparition de l’offre ambulatoire, les patients consomment davantage de prestations stationnaires, il faut même s’attendre à ce qu’elle augmente.

Économies: ne pas se tromper de cible

Le système de santé suisse est l’un des meilleurs du monde. C’est ce que montre une étude de 2015* mesurant le nombre de décès ayant pu être évités grâce à une prise en charge médicale adéquate. Pour ce qui est  de  la  qualité  des  soins  médicaux  et  de  l’accès  à ceux-ci, la Suisse figure en troisième position d’une liste comprenant 195 pays. En s’entêtant à faire des économies qui ne porteront pas leur fruit, le Conseil fédéral expose ce remarquable système de santé à de graves dangers. Son intervention tarifaire constitue une menace pour l’attractivité et la position de pointe que la Suisse occupe en matière de santé et de recherche.Les effets économiques qui en résulteront seront lourds de conséquences. Il serait plus judicieux de laisser aux spécialistes  de  la  santé  le  temps  d’élaborer  un  tarif ayant de quoi donner satisfaction à toutes les parties prenantes.

* Healthcare Access and Quality Index based on mortality fromcauses amenable to personal health care in 195 countriesand territories, 1990 – 2015: a novel analysis from the Global Burdenof Disease Study 2015. www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(17)30818-8/abstract

Source : Politique+Patient n°3, mars 2017