Les soins intensifs (SI) sont considérés comme le service où une technologie hautement sophistiquée et un personnel médico-infirmier très spécialisé permettent aux patients de « passer un cap » difficile dans leur santé, pour revenir à la VIE. C’est vrai, et ce n’est pas vrai. Évidemment, la grande majorité des patientes survit grâce aux SI, une petite minorité décède malgré tout. Le plus préoccupant aujourd’hui est que cette médecine, une des plus coûteuses dans les structures hospitalières, crée des situations que les patientes n’auraient peut-être pas souhaitées si elles avaient pu choisir. En effet, certaines d’entre elles mènent une survie dont la qualité reste discutable. « De quoi se plaignent-elles ?! » pourriez-vous nous dire, «... elles ont la chance d’être encore en vie ! ». Or, aujourd’hui les patientes ne sont pas toujours d’accord avec une telle affirmation. Ce ne sont bien sûr pas toutes les patientes, mais celles qui ont été sévèrement atteintes,les plus âgées, celles dont la santé était déjà précaire auparavant,et celles qui ont dû rester longtemps dans le service.

Les morbidités dont souffrent ces patientes des mois, voire années après leur séjour hospitalier dépendent beaucoup plus des complications survenues dans les SI, en partie"grâce" aux traitements subis, plus que des pathologies qui les ont amenées dans le service. La triste réalité est que les traitements agressifs nécessaires au soutien de la VIE sont quasi tous grevés d’effets indésirables. Bienfaisance versus non-malfaisance : nous sommes en plein dilemme éthique. Jusqu’où pouvons-nous imposer le bien– la survie, au prix de quel mal – les dommages induits.

Les conséquences sont physiques et psychiques. Ce sont les difficultés respiratoires induisant une dyspnée, des douleurs, une dépendance physique nécessitant un appareillage,un aménagement de l’environnement et de l’aide dans les activités de la vie quotidienne. Il n’est pas rare que de tels patients doivent séjourner très longtemps dans une structure de réhabilitation et parfois ne puissent plus retourner à domicile. Les troubles neuro-cognitifs de même que les affections psycho-affectifs dont le syndrome post-traumatique, viennent s’ajouter à cette liste d’affections qui sont encore mal connues du milieu médical en général.

De plus, le devenir de ces patientes pèse lourdement sur leurs proches. La souffrance des proches aidants devient une préoccupation sociétale, car non seulement ils doivent soutenir leurs proches-malades, mais doivent subvenir à leurs besoins personnels tant affectifs que social, notamment au niveau professionnel. Le constat est que de tels proches expriment une grande souffrance et ont besoin d’aide, besoin qui est encore actuellement peu connu et reconnu.

Depuis une dizaine d’années déjà, une petite équipe médico-infirmière s’intéresse à des patientes nécessitant un séjour prolongé aux SI (si vous venez aux SI de Genève, vous nous verrez porter ce badge violets PLS =patient long séjour) afin d’apprendre leurs besoins particuliers et leur prodiguer des soins adaptés et suivis. La prise de conscience de toutes ces problématiques dans les soins au-delà des SI, confirmées par les données de la littérature décrivant le devenir à moyen et long terme de ces PLS, nous a incités à souhaiter instaurer une consultation post-SI à 6 et 12 mois.

Cette consultation aurait pour objectifs, non pas de remplacer des médecins traitants, qui bien sûr assurent le suivi de ces patients, mais bien de venir en complément avec une vision spécialisée d’intensiviste, afin de détecter des complications encore peu connues de ce séjour aux SI et refaire le parcours d’un moment de leur vie, souvent oublié. Nous espérons pouvoir ainsi combler les lacunes de mémoire de leur séjour, expliquer les événements incompris.

Ce projet s’insère dans le suivi complexe de ces patients en collaboration étroite avec les médecins traitants et une recherche scientifique pour mieux comprendre leur devenir. Nous nous engageons à leur transmettre les lettres de sortie des SI, où que soit transférée la patiente, et l’invitation à cette consultation y sera mentionnée. Les médecins traitants recevront également un rapport de cette consultation qui se permettra de suggérer un éventuel complément d’examen chez un spécialiste. Nous ne planifions aucun examen sanguin, ni radiologique.

Ce type de follow-up clinic existe déjà de par le monde, en Angleterre ou en France, est naissant aux États-Unis et au Canada. Nous espérons que vous y ferez bon accueil et c’est avec plaisir que nous restons à disposition pour échanger à son propos.

Dans l’attente d’avoir le plaisir de vous lire.

Source :

La Lettre de l'AMGe n°4, mai 2018 : https://www.amge.ch/site/wp-content/uploads/Lettre-de-l-AMGe-mai-2018.pdf