Que souhaitent nos patients ?

Le big data et l’intelligence artificielle sont à l’évidence des thèmes importants pour le futur, y compris en médecine. Je vous assure pourtant que ces sujets sont bien éloignés des préoccupations actuelles des patients. Leurs demandes sont beaucoup plus pragmatiques.

Si son problème de santé est mineur, le patient 2017 souhaitera trouver sur Internet une information de qualité qui lui permettra de se soigner seul. Si son problème est plus important, il voudra un contact avec un professionnel de la santé qui puisse l’aider. Nous avons à mes yeux dans cette phrase les deux premiers objectifs de la santé numérique, l’accès à une information de qualité (pour les patients comme pour les professionnels de la santé) et l’accès aux soignants :

  • Pour ce qui est de l’accès à des informations de qualité, il faut impérativement améliorer la formation du grand public et des soignants pour qu’ils sachent effectuer sur Internet des recherches efficientes. Pour ceux qui le souhaitent, une connaissance des médias sociaux, des communautés de patients par exemple, constituera un plus indéniable.
  • L’accès aux soins est un des domaines où le numérique a un rôle essentiel à jouer. On peut penser à la simple prise de rendez-vous en ligne, à la communication par voie électronique entre patient et professionnel de santé, à la téléconsultation ou aux systèmes qui permettent de mettre en relation un utilisateur malade qui a un besoin spécifique avec un professionnel de la santé disponible.

Le plus bel exemple de cette évolution est à ma connaissance le système britannique eConsult (https://econsult.net/) qui propose l’ensemble de ses services au travers d’une unique interface. Le patient peut soit obtenir des informations pour se soigner lui-même, soit découvrir les propositions d’un pharmacien, soit bénéficier d’un conseil téléphonique ou enfin être mis en contact avec son généraliste.

Une révolution ?

Les développements de ces nouveaux services ne constituent cependant pas une révolution. Le patient qui s’exprime dans l’article Are Patients Seeing A Digital Health Revolution ?1 à propos de la possibilité de prendre rendez-vous chez son médecin par Internet résume la situation en une phrase :

« Ne vous méprenez pas, la possibilité de prendre rendez-vous en ligne est beaucoup plus pratique que de téléphoner à son médecin pendant les heures d’ouverture du cabinet ou de laisser un message sur le répondeur. Mais je n’appellerais pas cela une ‘ révolution de l’expérience patient ’, une phrase souvent
entendue lors de conférences consacrées à la santé ».

La coordination des soins

Face à la complexité toujours plus grande du système de santé, l’accès à l’information et l’accès aux soins ne seront cependant pas suffisants. Il faudra aussi, pour obtenir des soins de qualité, assurer la coordination du système. Le numérique doit nous aider à y faire face, en facilitant la documentation médicale et la transmission d’informations entre les différents acteurs en charge du patient. Il faudra pour cela pouvoir s’appuyer sur des dossiers médicaux et des dossiers patients électroniques de qualité, cette partie-là n’est pas encore gagnée. Il s’agit pourtant d’une condition sine qua non si l’on veut d’une part que les professionnels de la santé puissent travailler efficacement, d’autre part que les patients soient traités dans de bonnes conditions de sécurité.

Une médecine connectée

Même s’il s’agit plus d’une évolution que d’une révolution, le changement que l’on doit souhaiter est celui d’une médecine connectée. Des patients qui trouvent des informations santé de qualité sur Internet, qui échangent avec d’autres malades dans des communautés patients, qui peuvent bénéficier de téléconsultation tout en accédant à leurs propres données médicales. Pour les professionnels de la santé, cela pourrait se traduire par l’utilisation d’un dossier médical intelligent et par un accès à toutes les données concernant un patient, avec des informations qui circulent efficacement entre les différents partenaires de soins. L’idée est simple, être mieux soignés pour les patients, travailler plus efficacement pour les professionnels de la santé. Cela n’a rien de révolutionnaire.

Santé : « Je sais, je ne devrais pas aller sur Internet… »

Mais d’où vient cette idée que les patients ne doivent pas utiliser Internet pour y chercher des informations santé ? Si quelqu’un a une réponse, je suis intéressé.

Les enquêtes réalisées en Suisse et à l’étranger nous apprennent que plus de 60 % des personnes interrogées disent utiliser Internet à des fins médicales. Cela fait tout de même pour la Suisse 4.8 millions de personnes qui font des recherches tout en étant convaincues qu’elles ne devraient pas…

Les sites de santé, pièges pour anxieux ou outil de démocratie sanitaire ?

Il y a d’une part ceux qui pensent que le web permet au patient de mieux comprendre sa maladie, d’être plus actif et, en s’émancipant de l’autorité du corps médical, de définir ses propres choix face à la maladie. A l’opposé, ceux qui estiment que les informations santé retrouvées sur le net souvent mauvaises, commerciales et anxiogènes ; et que de toute façon les patients n’ont pas les compétences pour les comprendre.

Internet, utile ou dangereux ?

Pour être sincère, la littérature médicale nous dit tout et son contraire. Petit florilège : cette étude consacrée à l’utilisation d’Internet avant une consultation en pédiatrie2 qui nous dit que les parents ne sont ni mieux informés, ni plus inquiets (pour les patients à la recherche d’informations de qualité, je vous conseille www.monenfantestmalade.ch). Cette deuxième étude3 à propos de la qualité des informations sur la prise de poids pendant la grossesse montre elle que les recommandations sont essentiellement commerciales. Une troisième étude4 nous confirme que les recherches santé sur Internet peuvent augmenter l’anxiété (oui, il est possible de passer d’un simple mal de tête à une tumeur cérébrale en quelques clics). Enfin, cette quatrième étude5 qui porte sur le grave sujet du suicide et des auto-mutilations nous apprend qu’Internet est à la fois utile et dangereux. Utile car on y trouve des sites de prévention et de soutien, dangereux car on peut aussi dénicher des conseils pour s’auto-mutiler ou porter atteinte à ses jours.

Ces résultats hétérogènes peuvent paraître surprenants, ils reflètent simplement le nombre infini de situations possibles : l’utilité d’une recherche santé dépend de la pathologie étudiée, mais aussi des compétences de l’internaute et surtout des sites utilisés.

A la lecture de cette diversité, une conclusion s’impose : il est impératif de former les professionnels de la santé à l’utilisation de l’Internet médical, à la fois pour sensibiliser nos patients aux dangers du web santé mais aussi pour les diriger vers des sites de qualité.

Encourageons nos patients à aller sur Internet !

Internet permet de combattre l’asymétrie d’accès à l’information qui existait avant l’existence du web, le savoir médical n’est plus la seule propriété du professionnel de la santé. Ce nouveau paradigme permet au patient d’acquérir les informations nécessaires à la prise en charge de sa santé ; c’est aussi le meilleur moyen de faire évoluer la relation médecin – patient vers un réel partenariat. Cet accès à la connaissance est nécessaire dans de nombreuses situations, en particulier pour les maladies chroniques, pour les maladies graves et pour les maladies rares. Internet doit cependant rester pour le patient une source d’information, et non pas de diagnostic.

Références :

1 | Farr C. Are Patients Seeing A Digital Health Revolution ? KQED Science (en ligne)
2 | Sebelefsky C. Internet use of parents before attending a general pediatric outpatient clinic: does it change their information level and assessment of acute diseases? BMC Pediatrics. 18 August 2016
3 | Chang T, Verma BA, Shull T, Moniz MH, Kohatsu L, Plegue MA, Collins-Thompson K. Crowdsourcing and the Accuracy of Online Information Regarding Weight Gain in Pregnancy: A Descriptive Study. J Med Internet Res 2016 ;18(4):e81
4 | Singh K. From headache to tumour: An examination of health anxiety, health-related Internet use and ‘query escalation’. J Health Psychol. 2016 Sep;21(9):2008-20.
5 | Mars, Becky et al. Exposure to, and searching for, information about suicide and self-harm on the Internet: Prevalence and predictors in a population based cohort of young adults. Journal of Affective Disorders , Volume 185 , 239 - 245

Source :

SMN News n°90, Eté 2017 : http://www.snm.ch/images/documents/snm_news/90_snmnews.pdf