L’homme parle avec la machine, et la machine le comprend. Révolutionnaire hier, aujourd’hui dépassé. Une nouvelle génération d’objets qui s’interconnectent et échangent entre eux – voilà né l’internet des objets.

Santé 4.0

Le système de santé entend bien ne pas être le dernier à en profiter. Non contents de surveiller ce qui se passe sur ma véranda et d’éteindre la lumière, des capteurs mesureront demain des données vitales telles que le pouls, la température corporelle et la respiration et alerteront d’eux-mêmes les secours si je fais une chute. Une appli pour personnes dépressives vérifie déjà com-bien de fois celles-ci parlent au téléphone avec d’autres personnes ou leur écrivent et combien de smartphones se trouvent à proximité. Utilisant des données GPS, elle contrôle leurs sorties, le nombre de fois où elles font du sport et leur intime d’appeler des amis. Sur le lieu du travail, les déplacements de la souris renseignent l’utilisateur sur son niveau de stress. Indicateurs avancés de burnout, ils prédisent aussi, dans les tests, la sur-venue d’un alzheimer.

Le coach numérique

Ces objets s’approprient de plus en plus le rôle du médecin. La réalité dépasse la fiction. Alexa, l’assistant personnel  de  shopping  d’Amazon,  explique  sur  demande  comment  fonctionne  une  réanimation  cardio-pulmonaire. Siri, dont se servent des millions d’utilisateurs d’iPhone, fait dans l’empathie et leur conseille de parler de leurs soucis avec des amis.  Anna et Lukas,deux chatbots d’une appli pour enfants et jeunes en surpoids,  leur  demande  comment  ils  se  sentent,  ce qu’ils mangent et leur conseille de prendre de l’exercice. Invités à choisir entre leur médecin et Anna et Lukas, 96% des enfants ont dit, la première semaine, préférer parler avec leurs deux «chatfriends» interactifs. Les interventions comportementales sont le «comprimé numérique» d’aujourd’hui; les smartphones, que nous avons en permanence sur nous, se muent en pharmacie.

Big data ou big flop?

Les machines vont puiser leurs informations dans le big data, par milliers de billions de térabytes de données. Un accès à Internet leur suffit. En 2016 ont été identifiés plus de 80 000 gènes. La même année, plus de 5000 revues médicales ont publié en ligne au-delà de 2000 articles par jour. Des montagnes de données qu’une vie entière ne suffirait pas à saisir mais que les machines  absorbent sans sourciller et n’en deviennent que plus intelligentes. Le problème est donc de savoir de quoi alimenter les innombrables bases de données et l’internet. Si l’on demande à une machine intelligente quelle est la plus belle des femmes, elle répond«la jolie blonde court-vêtue» parce qu’elle a appris sur Internet que c’est ce qui se rapproche le plus du concept de femme. À elles seules, les données n’indiquent pas aux machines ce qui est important. Un ordinateur ne fait pas la distinction entre corrélation et causalité. Pour une machine, l’obtention d’un prix Nobel et liée à la consommation de chocolat du pays du lauréat.Elles ne connaissent pas non plus l’anonymat. Elles ont accès à des données qui en font dire aussi long à une valeur sanguine qu’à une empreinte digitale.De là à imaginer des primes de caisse-maladie directement corrélées aux données de santé, il n’y a qu’un pas.

Autant de limites que de possibilités

Est-ce là ce que nous sacrifions sur l’autel de la médecine moderne ? En tout cas pas aujourd’hui. Grands sont les obstacles qui se dressent sur le chemin du big data. Que l’on mesure les valeurs sanguines des diabétiques trois fois  par  jour ou minute par minute(grâce à un capteur cutané), le traitement reste le même. Les techniques de mesure numérisées se heurtent à des médicaments d’action lente tels que l’insuline. C'est  pourquoi  le  big  data  est  relativement superflu pour la médecine, à quoi s’ajoute qu’il est dangereux. La qualité des données n’y est tout simple-ment  pas.  Les  résultats  sont  insuffisamment transposables, trop souvent faussement positifs, la sécurité des données nulle et l’évidence trop rare. Les circonstances de vie étant ce qu’elles sont, il n’est toujours pas possible de standardiser le patient.

Que nous réserve l’avenir ?

Sans  doute  que  la  réponse  nous  sera  donnée  par  le temps. La société se doit d’aménager le progrès technique. Et les «dissidents», direz-vous ? Certains actes médicaux seront-ils demain réservés à ceux qui acceptent le progrès ? À ceux qui veulent bien être soignés par un robot et se passer de son analogue – le médecin ? Nous serons obligés de peser le pour et le contre du progrès et de choisir entre ce qui est possible et ce que nous voulons. Nous risquons de perdre une chose pour laquelle il vaut la peine de se battre - le contact humain, la relation médecin-patient. Ne permettons jamais, quelle que soit l’euphorie qu’il suscite, que l’internet des objets devienne une fin en soi. Sa mise en œuvre doit se faire à pas comptés, là où il constitue la meilleure solution à un problème non résolu. Faute de quoi, le patient va se trouver de plus en plus marginalisé alors que c’est le centre qu’il devrait occuper.

Source : Politique+Patient n°2, février 2017