Les objets connectés dont on parle mais qui n'existent pas

Premier problème, les objets connectés dont on parle mais qui n’existent tout simplement pas. Le dernier exemple en date est le soutien-gorge connecté qui détecte les cancers du sein.1 Une information diffusée largement par un très grand nombre de médias. Il est vrai que l’histoire est touchante : l’inventeur est un jeune mexicain de 18 ans dont la mère a souffert d’un cancer du sein. L’image de ce soutien-gorge diffusée partout n’est qu’une image de synthèse, ce projet n’est qu’un concept qui a (malheureusement) de grandes chances de ne jamais voir le jour.

Les objets connectés, utiles à nos patients ou aux assureurs?

L’assurance-maladie CSS propose par exemple de récompenser l’activité physique de nos patients. Est-ce une bonne idée ? La réponse est non.

On peut lire sur le site Internet de l’assureur « myStep », le système de rémunération pour les pas effectués de la part de la CSS, récompense votre activité physique. Pour chaque jour pour lequel 10’000 pas ou plus sont enregistrés sur votre compte personnel « myStep », vous obtenez un avoir de CHF 0.40. Si vous avez parcouru entre 7500 et 9999 pas par jour, l’avoir est de CHF 0.20. Par année civile, il est possible de toucher une contribution de CHF 146.– pour vos pas.

Même si l’on doit a priori se réjouir de voir un assureur s’intéresser à la promotion de la santé, il s’agit je pense d’une fausse bonne idée.

10’000 pas ? Cette recommandation de l’OMS remonterait aux années 60 et n’a aucune valeur scientifique. Comme l’écrit le Figaro dans un article inititulé « Capteurs de mouvement : le mythe des 10’000 pas », « les fabricants d’objets connectés dédiés à la santé citent tous des recommandations de l’OMS pour en justifier l’usage. Avec des raccourcis souvent rapides ». Les recommandations actuelles de l’OMS sont plus élaborées et individualisent les recommandations. Pourquoi fixer comme objectif 10’000 pas à une personne en surpoids pour qui 5’000 pas est déjà un réel progrès ?

Cette limite des 10’000 pas n’a donc pas de valeur scientifique, elle pourrait même être contre-productive. Comment se sentent les très nombreuses personnes qui ne parviennent pas à effectuer ces 7’500 ou ces 10’000 pas ? Déçues ? Coupables ? Dévalorisées ? Au risque pour elles de marcher encore moins après leur adhésion à ce programme.

Les objets connectés, commerciaux ou médicaux ?

T’as fait tes 10’000 pas ? Le capteur d’activité le plus célèbre est sans aucun doute le podomètre. Connaître la distance que l’on parcourt chaque jour peut à l’évidence avoir un côté stimulant, pour preuve les conférences consacrées à la santé numérique où un sportif connecté vient vous expliquer à quel point la « mesure du soi » est utile et qu’en plus il a perdu cinq kilos. Génial. J’aimerais juste rappeler qu’une étude2 qui a inclus 471 personnes qui souhaitaient maigrir a montré qu’après deux ans le groupe qui avait un podomètre avait perdu moins de poids que le groupe comparatif qui n’en avait pas.

J’aimerais aussi au moment où l’on réfléchit à l’utilité santé des capteurs d’activités que l’on n’oublie pas les très nombreuses personnes qui ont investi dans l’acquisition d’un tel appareil et qui après quelques semaines l’abandonnent, déçues de ne pas atteindre les 10’000 pas espérés.

Les objets connectés sont-ils fiables ?

Il y a évidemment autant de réponses que de capteurs. Une étude de l’Université de Stanford3 a par exemple montré que la plupart des capteurs mesurent la fréquence cardiaque avec précision mais que le calcul des dépenses énergétiques était très imprécis, avec des erreurs allant selon les appareils de 27 à 93%. Dans un article publié dans la Revue Médicale Suisse4, le Dr Mathias Tschopp rappelle qu’il est difficile de baser une intervention médicale sur la base de données récoltées par du matériel non certifié pour un tel usage. Les différents exemples présentés dans cet article montrent les possibilités mais aussi les limites actuelles de l’utilisation des objets connectés en médecine. L’exemple de l’analyse du sommeil pour la détection des apnées du sommeil est dans ce sens illustratif, les capteurs peuvent détecter des apnées mais au prix de nombreux faux négatifs, avec comme conséquence des examens coûteux pour des suspicions d’apnées qui n’en sont pas.

Big Brother is watching you

Nos données santé sont le plus souvent stockées à l’étranger, rendant leur contrôle d’autant plus difficile. Ce danger n’a pas échappé au Préposé fédéral à la protection des données pour qui le risque d’une perte de contrôle, et donc d’une atteinte à la protection des données, est bien réel. Un matelas pouvant servir à autre chose qu’à dormir, l’entreprise qui vous a vendu votre capteur de sommeil connait certainement la durée et la fréquence de vos ébats amoureux.

Le Préposé fédéral à la protection des données écrit : « Dans leurs conditions générales de vente (CGV), de nombreux assureurs ou fournisseurs de capteurs fitness se réservent le droit de réutiliser les données de leurs clients à des fins commerciales (en les revendant à des tiers, par ex.) ». Son conseil ? « Renseignez-vous sur la nature des données personnelles qui seront enregistrées et sur la forme sous laquelle elles seront traitées. Lisez à cet égard les CGV et les dispositions relatives à la protection des données ».

Ce que chacun de nous fait bien sûr systématiquement.

Des preuves scientifiques

L’utilisation médicale des objets connectés va certainement se développer. Il est pour cela indispensable que leur utilité soit prouvée par des études scientifiques. Plusieurs entreprises travaillent dans cette direction, à l’image des Suisses DomoSafety (www.domo.safety.com) qui fournit des services de détection et de surveillance à distance pour le suivi des maladies chroniques ou Gait Up (www.gaitup.com), une start-up de l’EPFL, qui analyse la démarche des patients pour prévenir les chutes.

Mais déclarer partout que x pourcent de la population a un capteur d’activité et que les objets connectés vont révolutionner la santé ne suffit pas. Une réflexion un peu plus poussée est indispensable, qui porte en particulier sur l’utilité des mesures effectuées, que ce soit pour le patient ou pour le professionnel de la santé. Dans ce sens, une voie prometteuse est celle des objets connectés qui faciliteront la communication entre patients et professionnels de la santé.

Références :

1 | Thévenot J. Ce soutien-gorge connecté sait détecter les cancers du sein. O, le cahier de tendances de l’Obs. Publié le 09.05.17 (en ligne).
2 | Jakicic JM, et al. Effect of Wearable Technology Combined With a Lifestyle Intervention on Long-term Weight Loss : The IDEA Randomized Clinical Trial. JAMA. 2016 Sep 20; 316(11):1161-1171.
3 | Duscheck J. Fitness trackers accurately measure heart rate but not calories burned. Standford Medicine News center. Publié le 24.05.2017 (en ligne).
4 | Tschopp M. Les gadgets connectés vous collent à la peau. Rev. Med. Suisse 2017 ; 493-495

Source :

SMN News n°90, Eté 2017 : http://www.snm.ch/images/documents/snm_news/90_snmnews.pdf