Les Suissesses et les Suisses ne souffrent pas qu’on leur dise qui doit les soigner. C’est par un retentissant 76 pour cent de non qu’ils ont balayé en juin 2012 le projet de managed care qui leur était soumis. Et ils sont à nouveau 74 pour cent à plébisciter la liberté de choix dans le «Moniteur de la santé 2017» actuel de l’institut de sondage GfS. Il y a des années que la suppression du libre choix est incapable de réunir une majorité dans les urnes.

Des assureurs opiniâtres

Très prisé des assurés, le libre choix du médecin ne fait pas l’unanimité parmi les assureurs. Objet des divergences: l’obligation de contracter. Tout médecin au bénéfice d’un diplôme reconnu et d’une admission à pratiquer est en droit d’ouvrir un cabinet et de facturer ses prestations à la charge de l’assurance de base. Grâce à  quoi l’accès aux soins est facile pour le public.

Le système d’admission s’appliquant actuellement aux médecins établis arrivera à expiration le 30 juin 2019. Comme le souhaitaient les caisses, le projet mis en consultation par le Conseil fédéral durcit les conditions d’admission. Il supprimerait le droit automatique de facturer à la charge de l’assurance de base et instituerait pour les médecins un processus d’admission formel. Leurs demandes seraient examinées par les assureurs, que le Conseil fédéral a explicitement chargés de créer un organe à cet effet. Devant les médecins souhaitant ouvrir leur propre cabinet se dresse en outre le spectre d’un délai d’attente de deux ans. Alors même qu’ils auront rempli toutes leurs obligations de formation et de formation continue, le Conseil fédéral pourra leur refuser plusieurs années durant le passage de l’hôpital au cabinet privé.

Ce sont les assureurs qui choisissent

Le durcissement des conditions d’admission vaut au Conseil fédéral des commentaires acerbes. Les organisations de médecins sont vent debout contre le projet de loi. La Conférence des sociétés cantonales de médecine CCM juge problématique le fait que les assureurs soient à la fois régulateurs et porteurs de coûts et qu’ils dictent l’offre médicale dont ils ont à assumer la totalité de la charge financière. Aussi exige-t-elle des critères d’admission clairement définis et des procédures d’examen des dossiers transparentes, sans lesquelles les assureurs pourraient être tentés de faire traîner volontairement en longueur les demandes d’admission, eux que guette constamment la tentation de rationner l’offre de soins dont ils ont à assumer le coût. Patientes et patients pâtiraient directement des suites d’une pratique d’admission restrictive. Privés du libre choix de leur médecin, il ne leur resterait qu’à se rabattre sur une offre de soins présélectionnée par les caisses.

De l’ambulatoire de cabinet à l’ambulatoire hospitalier

Mais ce n’est pas tout: le Conseil fédéral entend en outre accorder une plus grande latitude de pilotage aux cantons, dont les directions de santé seraient habilitées à plafonner par spécialité le nombre des admissions.On ignore d’ailleurs quels seraient en l’occurrence les critères applicables. La CCM craint l’arbitraire des autorités. Les cantons économiquement faibles pourraient en effet être tentés d’élaguer l’offre en imposant des plafonds intentionnellement trop bas. D’autant plus incompréhensible est l’intention du Conseil fédéral de doter de surcroît les cantons d’un outil de régulation encore plus restrictif, à savoir le blocage immédiat des admissions. À supposer que les coûts de la chirurgie augmentent plus vite dans le canton de Genève que dans celui de Fribourg ou que la moyenne générale de la Suisse, Genève pourrait interdire aux chirurgiens du canton de quitter l’hôpital pour s’installer en cabinet.

Voilà une disposition qui donne à réfléchir. L’obsession des coûts pourrait conduire à prendre de mauvaises décisions. Les spécialistes qui introduiraient par exemple de nouvelles méthodes de traitement ou des pro-grammes de prévention de grande envergure, générant des dépenses supplémentaires, s’en trouveraient pénalisés. Et, qui plus est, la facilité d’accès aux prestations ambulatoires, qu’apprécient patientes et patients, ver-rait son existence menacée.  Confrontés à la fermeture d’un nombre croissant de cabinets spécialisés, ceux-ci n’auraient d’autre issue que l’ambulatoire hospitalier,d’un coût notoirement plus élevé. Et le Conseil fédéral, du coup, irait à l’encontre des buts qu’il s’était lui-même fixé dans la stratégie Santé 2020.

Plus de lieux d’études, plus d’interdictions de pratiquer

En encourageant à coup de millions la création de nouveaux lieux d’études en médecine humaine pour imposer ensuite aux médecins ayant achevé leur formation un délai d’attente de deux ans avant qu’ils ne puissent ouvrir leur propre cabinet, le Conseil fédéral envoie à la prochaine génération de médecins des signaux contradictoires, d’un effet d’autant plus dévastateur que l’interprétation est stricte: l’assouplissement voulu de l’obligation de contracter déstabilise énormément les jeunes médecins. Comment, en effet, planifier une carrière quand plane sur celle-ci la menace d’interdictions temporaires d’exercer?  Il pourrait s’ensuivre que beaucoup d’entre eux préfèrent au cabinet la sécurité de l’hôpital ou que des talents prometteurs renoncent purement et simplement à une carrière de médecin.

Les médecins préconisent des alternatives simples

Les médecins ne contestent pas l’obligation de piloter les   admissions   du   secteur   ambulatoire   qu’ont   le Conseil fédéral et les autorités. À la différence du projet du Conseil fédéral, truffé d’obstacles administratifs et de contrôles à plusieurs niveaux, ils exigent toutefois des réglementations raisonnables. Seuls doivent être admis les médecins remplissant les trois critères de qualité suivants. Primo: avoir pratiqué pendant au moins trois ans dans un établissement de formation postgraduée certifié. Secundo: apporter la preuve que l’on continue de se former régulièrement dans sa spécialité. Tertio: subir un test de langue. Prouver, que ce soit l’allemand, le français ou l’italien, que l’on maîtrise la langue parlée dans la région où l’on exerce.L’avantage de ces critères d’admission est qu’ils sont faciles à mettre en œuvre et à vérifier. Visant à la sécurité, ils ont en outre le mérite d’être en phase avec les souhaits des patients. Le Conseil fédéral a encore le temps de revoir sa copie. S’il veut donner à son modèle des chances de l’emporter dans les urnes, il lui faudra en abaisser les obstacles administratifs, en retirer les dispositions insensées ainsi que se prononcer claire-ment en faveur du libre choix du médecin.

Source : Politique+Patient n°4, avril 2017