Est-ce que la fin du libre choix du médecin est déjà programmée ?

Pas encore, mais nous nous en rapprochons dangereusement ! Le Parlement a certes chargé le Conseil fédéral d’élaborer un projet de loi dans ce sens, mais il s’agit d’un processus long, soumis à consultation, puis à un débat parlementaire. Et si ce projet devait aboutir, un référendum est très probable. Cela représenterait un changement de paradigme que le peuple suisse a toujours clairement refusé jusqu’à présent.1

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce projet vise à remettre en cause un pilier fondamental de notre système de santé : le droit, garanti par la LAMal, pour chaque assuré de choisir librement son médecin et son établissement en contrepartie de l’obligation de s’assurer accepté par le peuple en 1994 et entrée en vigueur en 1996. Déguisée en « assouplissement » d’une contrainte soi-disant insupportable pour les assureurs, une telle réforme ouvrirait la porte à une médecine à deux vitesses, où des critères économiques l’emporteraient sur les considérations médicales. Comme pour les médecins déconventionnés en France, les factures seraient alors à charge intégrale des patients, ou peut-être d’assurances complémentaires, et pourtant non libérés de l’obligation de payer leurs primes.

En majorité, les conseillers nationaux des cantons romands présents se sont opposés à cette idée, par 15 voix contre 10 et 4 abstentions. Les Conseillers aux États présents ont accepté, par 5 oui, 4 non et 4 abstentions. Ces résultats illustrent le manque d’information probable d’une partie de nos parlementaires (tableau 1). L’analyse montre cependant un partage qui pourrait être lié à l’appartenance politique. Les propositions de vote favorable, défavorable et abstention ont été : PLR 6,1,1 ; Centre 3,1,2 ; PS 0, 8, 0 ; Verts 0, 6, 0 ; autres 1,1,1 (tableau 2).

Tableau 1
Tableau 2

Pourquoi la SMSR s’oppose-t-elle si fermement à cette réforme ?

Parce que l’obligation de contracter constitue aujourd’hui un rempart essentiel contre la sélection indirecte des patients par les médecins sous la menace des assureurs de les exclure du remboursement des prestations. Si les caisses maladie pouvaient choisir librement les prestataires avec lesquels elles contractent, elles privilégieraient naturellement ceux qui leur coûtent le moins cher. Les médecins qui prennent en charge des patients « onéreux », notamment les personnes âgées, chroniquement malades ou atteintes de pathologies complexes, sont ceux qui risqueraient d’être exclus. Toute proportion gardée, un peu comme le système que le parlement américain vient d’adopter en menaçant le démantèlement du système Medicaid (population aux ressources limitées, estimée à 15 millions de personnes) et celui de l’aide alimentaire.

Ce n’est pas seulement une question d’équité, c’est une question de sécurité et d’accessibilité des soins. Un changement imposé de médecin ou d’exclusion de certains prestataires risquerait des interruptions de traitement, des retards de prise en charge, et des abandons de traitements non remboursés, préjudiciables à celles et ceux incapables de le financer eux-mêmes. Un rationnement de l’accès aux soins conduit irrémédiablement à une baisse de l’espérance de vie.

En outre, cette réforme ferait peser une incertitude insupportable sur la relève médicale. Si un jeune médecin ne peut pas être sûr que ses prestations seront reconnues par les assureurs, pourquoi s’installer, ou reprendre un cabinet ? Ce climat instable aggraverait encore la pénurie de personnel qualifié, que nous subissons déjà dans plusieurs régions, notamment périphériques.

Enfin, ce projet entre en contradiction avec les réformes récentes, notamment la nouvelle réglementation sur les admissions médicales. Il serait incohérent de bouleverser à nouveau l’équilibre législatif alors que les effets des dernières mesures ne sont même pas encore visibles.

Que peuvent faire les médecins et les citoyens dans ce contexte ?

Informer et expliquer ! Beaucoup ignorent encore ce qu’un assouplissement de l’obligation de contracter signifierait pour eux. Dans un tel système, un patient pourrait être privé de son médecin contre son gré et sans garantie d’en retrouver un autre, à moins de le payer lui-même.

Rappelons qu’il existe déjà des modèles d’assurance alternatifs, que chacun peut choisir librement, dans lesquels les restrictions qu’ils impliquent sont librement choisies. Assouplir l’obligation de contracter reviendrait à imposer un système restrictif par défaut. Nul doute que les assurances complémentaires ambulatoires (les fameuses mutuelles en France), se développeraient rapidement.

Enfin, la population suisse a voté en 2024 sur deux objets importants liés à la maîtrise des coûts de la santé. Il est donc d’autant plus déraisonnable de prétendre qu’il y aurait aujourd’hui urgence à restreindre le libre choix du médecin. Bien informer aujourd’hui, c’est préparer le terrain pour un éventuel référendum demain. Et lorsqu’elle est bien informée, la population suisse sait défendre ses droits.

 

Auteurs

Pierre Arnold

Présidente SMVS 
Société médicale de la suisse romande

Dominique Bünzli

Président SNM
Société médicale de la suisse romande

Jessica Colombé

Société médicale de la suisse romande

Philippe Eggimann

Président Société médicale de la suisse romande

Michel Matter

Trésorier Société médicale de la suisse romande

Anouk osiek Marmier

Présidente MFÄF
Société médicale de la suisse romande

Séverine Oppliger-pasquali

Présidente SVM
Société médicale de la suisse romande