L’emprisonnement relève du domaine punitif dans la société. Mais qu’en est-il lorsque la santé vient se greffer à ce système ?

Parler de santé-justice ou de justice-santé impose déjà une problématique dénominative. Au début des années 2000,une publication de l’OMS intitulée « patient or prisoner » avait déjà été publiée, soulignant l’appellation hasardeuse de cette terminologie.

« Je vous offre une troisième version, je parle de patient tout court », explique le Professeur Wolff, médecin responsable de l’unité carcérale de Champ-Dollon à Genève. « Il est fondamental qu’un médecin perçoive son patient comme un patient et non pas comme un détenu-patient et encore moins comme un détenu tout court », insiste-t-il. Les terminologies sont importantes pour décrire les personnes détenues et relèvent d’une problématique délicate et subtile d’appellation lorsque santé et justice s’unissent. Parler du prisonnier ou du criminel est vu comme un manque de respect pour le médecin soignant, alors que cela serait moins considéré de la sorte par un homme de droit (même si beaucoup choisissent d’utiliser un langage plus respectueux et d’abolir les expressions).

Le problème de jargon médical dans un milieu carcéral se vérifie dans de nombreux domaines allant jusqu’à l’appellation pour qualifier les drogués « on ne parle justement plus de « drogué » cela est devenu stigmatisant, on parle de « personne injectant des drogues », observe le Professeur Wolff soucieux de la question et convaincu qu’il reste à faire encore pas de mal de progrès pour un style non rempli de stéréotypes.

Si l’inquiétude face à ce problème résulte d’une certaine importance, c’est aussi parce que le domaine carcéral s’efforce de préparer la personne incarcérée à sa réintégration dans la société. Le domaine pénitentiaire est le domaine légal punitif par excellence et il est impératif de travailler sur des principes humanistes dans lesquels l’humanité doit prôner, faute de quoi, le patient ne recevrait pas un bon exemple, instructif et profitable, pour sa réinsertion sociale.

Le dénouement complet de la situation ne pourra être complètement résolu que lorsqu’il se vérifiera « une bonne formation de tout le personnel encadrant sans exception, basée sur des valeurs humaines fondamentales et sans préjugés issus d’autres pressions. Une réalité qui n’est pas encore complètement à la page et pour laquelle il faut encore progresser », ajoute à ce sujet le Professeur Wolff.

« Les fondements ne doivent surtout pas être mal compris », réplique-t-il en se rappelant de la prévention sanitaire et de l’équivalence des soins.

En effet, ces derniers se doivent d’être, au moins équivalents à ceux administrés dans la population libre et répondre avant tout aux besoins de ces patients dont la santé est souvent précaire.

Si ces malades bénéficient de certains traitements gratuits, alors qu’ils ne le sont pas dans la population libre, notamment les frais dentaires, c’est parce qu’ils proviennent souvent d’un milieu défavorisé avec des problèmes de santé plus importants et nécessitant des soins plus conséquents.

De ce fait, plusieurs déterminants défavorables se cumulent dans cette population et les maladies deviennent beaucoup plus fréquentes.

Cela touche tous les domaines de la santé et plus particulièrement celui de la santé dentaire mais aussi les maladies cardio-vasculaires et la santé mentale.

Dans l’unité hospitalière cellulaire (UCH) des HUG, dirigée par le Professeur Wolff et accueillant l’ensemble des patients-détenus romands, un bon nombre d’entre eux développe des risques sanitaires accrus qui, de la prison,pourraient s’étendre à l’ensemble de la population.

Si le principe d’équivalence des soins et de la prévention n’était pas correctement adapté, on irait vers des complications majeures. On observe effectivement non seulement un vieillissement précoce de ces personnes, pouvant les amener jusqu’à un décès prématuré mais aussi une multiplication de maladies, certaines pouvant poursuivre leur action encore dans la population libre, après la libération.

Ce principe est fondamental pour le Professeur et il est impératif pour lui qu’il ne soit pas à nouveau mal interprété. Qui dit équivalence des soins, dit prévention avant tout. Par ailleurs, il tient à souligner que certains soins dentaires gratuits sont aussi administrés à la population libre en difficulté sociale. Il terminera non sans détermination: « Un médecin doit toujours adapter son action aux besoins de son patient ».

Source :

La Lettre de l'AMGe n°6, juillet-août 2018 : https://www.amge.ch/site/wp-content/uploads/Lettre-de-lAMG-juillet-aout-2018.pdf