Dans quelle situation se trouvent actuellement les médecins praticiens ?

Dr Jean-Marie Michel: Ces médecins sont déjà dans une position défavorisée, vu qu’ils ne peuvent pas facturer plusieurs types de prestations, comme le status médical, les entretiens d’ordre psychiatrique et psychologique ou les entretiens avec la famille. Dernièrement, les assureurs ont envoyé des demandes de remboursement aux médecins praticiens de plusieurs cantons. Elles concernent des prestations effectuées à titre de médecins de premier recours. Les montants de ces rétrocessions semblent être si importants qu’ils remettraient en question la viabilité de certains cabinets.

Combien de médecins sont-ils concernés ?

C’est très difficile à dire, car nous n’avons pas de statistiques précises sur le nombre de médecins praticiens par canton. La FMH estiment qu’il y a 1123 médecins praticiens en Suisse, dont 82% de médecins étrangers (812), principalement issus de France, d’Allemagne et d’Italie. Cela représente 6% de tous les médecins pratiquant en ambulatoire, et 14% des médecins de premier recours. Nous manquons toutefois de données exactes, car la plupart des médecins praticiens ne sont pas membres des sociétés médicales. Il y a certainement des praticiens qui ne travaillent plus ou uniquement à un petit pourcentage qui sont comptés dans les chiffres actuels. C’est un vrai casse-tête !

Que représentent ces médecins pour la Suisse ?

Nous en avons besoin. Ce sont eux qui occupent des postes en périphérie et dans les zones en manque de médecins de famille. Notre pays n’a pas les ressources pour s’en passer. Actuellement, les médecins praticiens sont peu représentés. Nous devons trouver une solution pour les intégrer dans les réseaux de médecins au niveau national. Nous devons donc faire des efforts au niveau cantonal, voire romand.

Quelle solution proposez-vous ?

Nous aimerions que la reconnaissance de ces médecins se fasse en plusieurs temps. Il faut en premier lieu entamer le dialogue. Dans un deuxième temps, il faut trouver une solution pour que ces médecins puissent facturer toutes les positions tarifaires (status, prestations pour entretien psychiatriques et psychologiques, etc), avec un point inférieur. 
L’obtention d’un titre de spécialiste en médecine interne générale exige (en Suisse comme en Europe d’ailleurs) un minimum de 5 ans de formation postgraduée dans des hôpitaux reconnus par l’IFSM, puis de réussir l’examen de spécialiste en médecine interne générale. L’unique possibilité serait que ces collègues interrompent leur activité en cabinet pour pouvoir compléter leur formation postgraduée, ce qui me semble irréaliste. Nous devons de ce fait trouver une solution avec les cantons, la FMH, la Société Suisse de Médecine Interne et la Société Suisse de Médecine Générale pour que nos collègues puissent après un certain temps avoir rempli certains critères qui restent à définir (comme par exemple le nombre d’année d’activité en cabinet, la justification d’une formation continu, etc… ) facturer les mêmes prestations que les médecins spécialistes en médecine interne générale (à l’instar du label «praticien vaudois » proposé par la société vaudoise de médecine). Ils seraient ainsi soumis aux mêmes contraintes que les médecins suisses et obtiendraient les mêmes possibilités de facturation. Pour en avoir discuté avec le directeur de l’Institut de Formation Médicale Suisse, la tâche ne sera pas simple étant donné qu’il faudra modifier la loi.

Si le nombre de médecins FMH augmente, cela risque-t-il pas d’impacter les coûts de la santé ?

C’est le nœud du problème. Les politiciens sont probablement satisfaits d’avoir des médecins qui pratiquent de la médecine de premier recours à un tarif réduit. La mise en place de cette solution risque donc d’être compliquée, car les médecins ayant passé l’examen coûteraient en théorie plus cher, ce qui n’est en réalité pas le cas. Toutefois, toute formation continue en médecine de premier recours améliore la qualité de la prise en charge du patient et contribue à faire à diminuer les coûts.

A l’heure actuelle, on parle plutôt de limiter l’offre de médecins. N’allez-vous pas à contrecourant ?

Non, car on ne parle pas ici d’admission de médecins supplémentaires, mais de personnes déjà installées en Suisse. Avec les bilatérales et la reconnaissance obligatoire des titres, de nombreux médecins de l’Union Européenne se sont installés en Suisse. Mais ils sont en quelque sort à part. Cette scission n’est pas compatible avec la notion du consensus helvétique. Quand un médecin issu de l’Union Européenne a travaillé une dizaine d’années comme médecin de premier recours dans le système suisse, que les patients sont satisfaits et que sa réputation est bonne, on devrait lui octroyer une meilleure reconnaissance. Et la limitation de l’offre de médecins risque de faire diminuer la qualité de la prise en charge des patients en Suisse, de plus il n’a jamais été démontré que la diminution de l’offre de médecine de premier recours faisait baisser les coûts.