Comment se concrétiserait ce budget global?

Dr Michel Matter On parle de plafonds contraignants, il s’agirait donc vraiment d’une enveloppe budgétaire. A ce jour, nous ne savons pas si ce budget serait annuel ou trimestriel. En cas de budget trimestriel, l’exemple allemand montre que le médecin pourrait utiliser l’intégralité de son enveloppe en deux mois s’il devait s’occuper de cas lourds. Cela signifie que pour le dernier mois, il n’aurait plus la possibilité de soigner des personnes n’ayant que l’assurance de base. Il ne recevrait donc que les patients au bénéfice d’une assurance complémentaire ou ceux qui paient de leur poche. Cela engendrerait une véritable médecine à deux vitesses. Si l’option est annuelle, le médecin se verrait accorder un budget en fonction du dépassement ou non de celui de l’année précédente.

Quels sont les risques pour les patients?

Il y aurait des décalages de prise en charge entre les patients possédant une assurance complémentaire et ceux ayant uniquement l’assurance de base. On estime que les patients de la seconde catégorie attendraient jusqu’à sept fois plus de temps pour obtenir une consultation. Or, lorsqu’on repousse un diagnostic, les chances de guérison diminuent. De plus, pour rentabiliser son budget, le médecin n’aurait pas intérêt à traiter des patients qui coûtent cher au système. Il pourrait alors favoriser ceux nécessitant un contrôle ou un suivi simple et hésiter à recevoir les personnes souffrant de maladies chroniques ou oncologiques. Du point de vue de la Déclaration de Genève ou du serment d’Hippocrate, une sélection du patient par rapport aux coûts qu’il engendre est déontologiquement impossible. Nous nous sommes battus pendant des années pour éviter la sélection des bons risques par les assureurs, il ne faut pas l’introduire par un budget global.

Cela mène donc à une véritable inégalité des soins…

Oui, c’est un drame car cela va toucher les patients les plus vulnérables, tant en termes de santé que de revenus. Il ne faut pas oublier qu’une partie de la population suisse ne se fait pas traiter les dents faute d’argent ou renonce aux soins pour ne pas payer la franchise. Avec un budget global, on ferait du rationnement, ce qui est inadmissible dans notre pays. La Suisse est en tête du classement européen pour l’accessibilité et la qualité des soins. Ces deux éléments seraient affectés par le budget global.

Ce système permet-il néanmoins de limiter les coûts?

En Allemagne, où le budget global est déjà mis en place, on n’observe pas de limitation de la hausse des coûts de la santé, simplement des patients qui attendent plus de temps pour être pris en charge. Par exemple, pour obtenir un rendez-vous chez un radiologue, les temps d’attente sont passés de cinq à quarante-deux jours. C’est intolérable. Le budget global est une décision purement politique qui n’a pas pour volonté première la qualité des soins. En fixant des plafonds contraignants, les politiciens transfèrent la responsabilité aux médecins et aux soignants. Ces derniers doivent faire eux-mêmes le rationnement des soins, ce qui est inacceptable.

Des budgets globaux sont pourtant déjà instaurés dans certains cantons suisses.

Il y a effectivement des cantons qui ont un budget global pour l’hospitalier, comme Genève et Vaud. Ce sont des cantons où l’État investit beaucoup dans l’hôpital public. Or, nous sommes actuellement en train de déplacer de plus en plus d’interventions vers l’ambulatoire. Automatiquement, la part des coûts liés à l’ambulatoire va augmenter. Avec le budget global, on nous dit qu’on va mettre un plafond alors même qu’on est en train d’augmenter les patients en ambulatoire. Il y a une incompatibilité entre le virage ambulatoire et le budget global.

Comment les médecins peuvent faire face?

En premier lieu, nous allons amener le sujet dans le débat public. Au mois d’octobre 2017, la FMH, H+, Interpharma, pharmaSuisse, santésuisse et l’Organisation suisse des patients ont signé un courrier commun. Quand ces acteurs de la santé se réunissent pour mettre en garde contre ce système, il faut ouvrir les yeux. Si les budgets globaux sont imposés au niveau fédéral, les médecins lanceront un référendum. Si la population vote pour le rationnement des soins, nous devrons nous adapter aux budgets globaux pour suivre la volonté populaire.

Parmi les autres mesures du rapport d’experts, lesquelles doivent être plébiscitées?

Dans ce cas précis, la notion d’experts peut être questionnée [lire l’édito «Expert moi non plus»]. Il est vrai qu’un gros travail doit être fait sur la question des coûts, même s’il faut souligner qu’ils ont été stables en 2018. Il y a beaucoup de mesures que nous soutenons, comme le transfert vers l’ambulatoire, la promotion des directives anticipées ou le second avis médical. Parmi les mesures les plus importantes à soutenir, il y a la révision du prix des médicaments. Cela devient une nécessité dans notre pays. Le financement moniste est également indispensable pour éviter une explosion des coûts. L’objectif premier est de réfléchir aux potentiels d’économie, mais sans rationnement ni perte de la qualité des soins.