Mis à jour par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) à fin juillet, le Monitoring de l'évolution des coûts de l'assurance-maladie pourrait laisser penser que ces derniers ne se sont que légèrement contractés au 1er semestre 2020 (-0,1%), par rapport au 1er semestre 2019. Ces données exposant un coût moyen par assuré « soigné » ne sont cependant guère significatives pour l’année très spéciale en cours, et ne donnent en tout état de cause aucune indication de l’évolution globale des coûts à charge de l’AOS (soit le nombre d’assurés réellement « soignés » à ce coût moyen).

En ce qui concerne les cabinets médicaux, les données en possession des sociétés cantonales de médecine romandes font par exemple état d’une baisse du volume de facturation d’environ 13% au 1er semestre 2020, qui correspond peu ou prou à l’interdiction qui leur a été faite de travailler normalement du 17 mars au 26 avril, pendant la phase COVID aiguë. Un sondage réalisé par la SMSR début mai avait permis d’estimer une baisse d’activité moyenne des cabinets médicaux de 62,5% pendant cette période de 41 jours, soit l’équivalent de 26 jours d’inactivité complète (14% du semestre et 7% de l’ensemble de l’année).

Dans le domaine hospitalier, les mêmes causes ont apparemment produit les mêmes effets, selon la dernière communication du 28 août de la faîtière H+. Celle-ci a calculé que la baisse de l’activité des hôpitaux suisses suite à l’interdiction temporaire des traitements et des opérations au début du printemps aurait occasionné une perte de revenu entre 1,4 et 1,8 milliard de francs au 1er semestre. Elle anticipe même une perte possible jusqu’à 2,6 milliards de francs d’ici la fin de l’année, certaines activités hospitalières n’ayant pas encore complètement redémarré. Rien que pour l’hôpital, ce serait donc probablement plus d’un milliard de francs de prestations non effectuées que les caisses maladie n’auront pas à rembourser en 2020.

« Au final, il est probable que les coûts totaux de la santé à charge de l’AOS baisseront d’environ 1,5 à 2,5 milliards en 2020, soit -4 à -8%, pour autant qu’une deuxième vague COVID n’empêche pas à nouveau les consultations présentielles non-urgentes ou les interventions électives cet automne, prévoit Philippe Eggimann, président de la Société médicale de la Suisse romande (SMSR) et de la Société vaudoise de médecine (SVM). Sinon, cela sera encore davantage. Cette baisse vraisemblable correspond à ce gros mois « blanc » qu’a connu l’ensemble du secteur ambulatoire et stationnaire, à l’exception peut-être des EMS et des soins à domicile. Un rattrapage significatif au 2e semestre ne semble également pas constaté à ce jour dans les cabinets, hôpitaux ou cliniques. »

Toutes choses égales par ailleurs, cette baisse des remboursements à charge de l’AOS devrait générer une nouvelle augmentation des réserves des caisses maladie de 1,5 à 2,5 milliards de francs, les primes ayant été fixées à l’avance pour 2020 sur la base d’une augmentation prévue des coûts de 0,2% (coûts totaux estimés à charge de l’AOS d’environ 33 milliards).

Pour faire une opération blanche sur 2020 et 2021 et ne pas pénaliser les assurés, il conviendrait donc pour la SMSR que le Conseil fédéral intervienne pour faire baisser les primes d’au moins 4% en 2021. Depuis 2017, les réserves des assureurs ont déjà augmenté de près de 2,5 milliards pour atteindre environ 9 milliards, grâce à une augmentation des primes deux fois plus forte (+5,4%) que celle des coûts (+2,7%). Les prévisions de Comparis publiées le 15 juin 2020 et faisant état d’une hausse nécessaire des primes de 3% (ou au minimum de 1% en cas d’utilisation des réserves) ne tiennent aucunement compte de l’impact réel du  coronavirus et sont donc absolument contestées par la SMSR.   

Un mode de calcul des primes à changer, pour un pilotage éclairé du système de santé 

Cette crise offre la démonstration qu’il devient impératif de fixer les primes d’assurance maladie a posteriori et en toute transparence sur la base des coûts réels de la santé, plutôt que de continuer à le faire de manière anticipée sur la base de prévisions financières toujours pessimistes. La SMSR soutient pleinement à cet égard les initiatives en préparation de 5 cantons romands (VD, GE, FR, NE, JU) et du Tessin visant à intervenir auprès de l’Assemblée fédérale sur ce sujet.

« Depuis 2018, nous réclamons un changement de système. On voit bien avec le coronavirus que l’on ne peut pas tout prévoir et qu’il est quasiment impossible de mobiliser les immenses réserves des assureurs en cas de besoin pour financer autre chose que les prestations légalement remboursables, analyse Philippe Eggimann. Il faut aussi tirer la leçon du fait qu’une telle crise sanitaire implique davantage un risque financier pour les prestataires de soins, qu’ils soient privés ou publics, qu’une hausse des coûts à charge de l’AOS. En mains des assurances, dans de telles situations, ces réserves ne servent à rien. » 

La SMSR dénonce également le déficit démocratique que le mode de calcul actuel génère pour le pilotage éclairé du système de santé suisse. Depuis des années, l’augmentation des primes sur la base de prévisions erronées fait ressentir à la population une hausse des coûts de la santé deux fois plus forte qu’elle n’est réellement. Cela induit ensuite des projets de réforme éthiquement, socialement et médicalement extrêmement discutables, avec le sentiment qu’un rationnement des soins devient indispensable sous une forme ou une autre pour juguler la hausse des primes. Visant à économiser un milliard dans les prestations, le dernier paquet de mesures mis en consultation par le Conseil fédéral le 19 août dernier ne fait malheureusement pas exception.

A propos de la Société médicale de la Suisse romande (SMSR)

La SMSR est l’association faîtière romande des sociétés cantonales de médecine (FR-GE-JU-NE-VS-VD). Elle a notamment pour but de coordonner et soutenir leurs actions auprès des partenaires tarifaires et des autorités tant cantonales que fédérales. Fondée en 1867, soit 34 ans avant la création de la FMH (1901), la SMSR est le pendant romand de la VEDAG (Verband deutschschweizerischer Ärztegesellschaften) et de l’OMCT (Ordine dei medici del Cantone Ticino). La Revue Médicale Suisse est l’organe officiel de la SMSR.