La décision populaire est tombée le 12 février 2017 : les Neuchâtelois disent non à la concentration des soins aigus en un seul pôle. Ils affirment leur volonté de conserver un hôpital indépendant à la Chaux-de-Fonds. Intitulée « Pour deux hôpitaux sûrs, autonomes et complémentaires », l’initiative H+H passe la barre de justesse (52.27 % des voix), grâce à une mobilisation importante du Haut du canton.

Dès lors, la commission Santé planche sur l’application concrète de la votation, dans un contexte de pénurie de personnel médical, de difficultés économiques et de vétusté des structures hospitalières. Deux ans après l’initiative, le Grand conseil neuchâtelois accepte le projet d’un réseau hospitalier. Sous la responsabilité d’un unique Conseil d’administration, trois directions autonomes géreront respectivement le site de soins aigus de Neuchâtel, celui de la Chaux-de-Fonds, et un centre de services transversaux. Le Dr Mauro Walter Gusmini, président de la Société Neuchâteloise de Médecine (SNM), nous livre ses premières impressions.

SMSR : Que pensez-vous du projet accepté par le Grand conseil ?

Dr Walter Gusmini : Nous ne sommes plus dans une situation de blocage politique. La solution proposée semble satisfaire les initiants et le reste du Grand conseil. Reste maintenant à déterminer comment la mettre en œuvre. Nous attendons de voir ce que cela représente comme charge de travail supplémentaire, étant donné qu’il y aura trois directions différentes. Cela implique trois budgets, trois comptabilités différentes. Ce ne sera pas simple. Et on n’a toujours pas parlé des choses qui fâchent : les missions des différents sites. C’est déjà ce qui a posé problème pour la mise en place de l’initiative.

Est-ce que cela semble un bon pas vers une collaboration à l’intérieur du canton ?

A priori oui. Il est inscrit dans le projet de loi que les trois entités sont amenées à collaborer. Cela signifie que le collège des directeurs qui représentent ces entités doit travailler ensemble. Cela peut paraître difficile à réaliser et il existe un risque que ces sites restent tout de même en concurrence. Les politiciens disent toutefois avoir prévu suffisamment de garde-fous dans leur projet pour forcer les intéressés à collaborer.

Existe-t-il un risque pour la qualité des soins ?

Certainement. Dans ces situations, on parle de masse critique : il faut qu’il y ait un nombre suffisant d’interventions pour conserver une expertise médicale et développer les compétences. Tant à la Chaux-de-Fonds qu’à Neuchâtel, il y a probablement des secteurs où les masses critiques ne seront pas atteintes, ce qui peut poser problème pour la qualité des soins. Cela dépendra du type de répartition des missions. Si les deux structures s’entendent et ne cherchent pas chacune à tout faire, les masses critiques pourraient être suffisantes.

Comment imaginez-vous cette répartition des missions ?

Il ne faut pas changer ce qui marche actuellement. Il y a plein de services qui fonctionnent de façon transversale. Par exemple, le Centre du sein qui se trouve sur différents sites, tout en étant principalement basé sur la Chaux-de-Fonds. On peut également citer le Centre de neurologie, qui est davantage basé sur Pourtalès [ndlr : en ville de Neuchâtel], et bien sûr le département des Urgences, qui couvre les trois sites.

Durant la campagne, les médecins de l’hospitalier ont exprimé leur souffrance. Comment les soutenir ?

Initialement, ils ont très peu été entendus. Nous avons relayé leurs inquiétudes quand le projet de la commission a été mis en consultation. Cela a été pris en compte dans certaines modifications apportées au texte final. Cela concerne notamment le maintien de structures transversales, la conservation des services qui fonctionnent actuellement, et de développement des centres de réadaptation et de traitement. Ces éléments étaient occultés dans la première version du rapport.

Parmi les arguments des opposants à l’initiative, on a entendu que la situation pourrait profiter aux cliniques privées. Est-ce un risque réel pour vous ?

La nature a horreur du vide. Si l’hôpital s’affaiblit, cela fait le lit du développement des cliniques privés. Il ne faut toutefois pas oublier qu’il existe une liste hospitalière. Le canton attribue un certain nombre de missions à différentes institutions, en fonction des masses critiques, de la qualité, etc. Si la qualité n’existe plus dans une structure publique, le canton pourrait décider d’octroyer certaines interventions aux cliniques privées, comme c’est le cas actuellement pour l’orthopédie. Il ne faut cependant pas perdre de vue que la clinique privée doit rester rentable, alors que l’établissement public est là pour couvrir les besoins sanitaires de la population, quitte à être déficitaire.

Si le privé s’accroît, cela risque d’affaiblir l’hospitalier, qui est déjà dans une situation difficile…

Il y a deux problématiques : celle du stationnaire et celle de l’ambulatoire. Pour le stationnaire, il y a une importante part de patients des régions de montagne qui sont en assurance commune. Je ne pense pas qu’il existe un marché suffisant pour que les cliniques privées soient rentables dans ces zones. À moins qu’elles se tournent vers l’ambulatoire.

Que pensez-vous de la multiplication des centres MedBase de Migros, qui pourraient arriver à Neuchâtel ?

En tant que médecin de premier recours, j’ai un peu de peine avec ce genre de structure. Elles sont le mauvais côté de l’entreprenariat privé. Je ne pense pas que ce type de structure réponde aux besoins de la population. En outre, les collègues qui travaillent dans ces structures ont certes des facilités administratives, mais leur liberté thérapeutique risque de ne pas être garantie.

Le modèle valaisan des maisons de santé serait-il intéressant pour Neuchâtel ?

Bien sûr. Notre canton a le même problème que toute autre région périphérique. Si on regarde le Val de Travers par exemple : peu de collègues s’y installent et ceux déjà présents arrivent à la retraite. Cela peut générer des problèmes de prise en charge de patients. Les maisons de santé dans lesquelles les pouvoirs publics s’investissent, c’est l’avenir. Nous sommes prêts à collaborer pour ce type de structure. Actuellement, nous contribuons aux Maisons de la garde [lire l'article de bilan des Maisons de la garde], qui sont à l’intérieur de l’hôpital

Comment imaginez-vous la situation dans deux ans ?

C’est encore très flou. On aperçoit les contours de la gouvernance unique qui serait mise en place, ce qui semble être une bonne chose. Ce qui nous importait le plus, c’était de ne pas détruire l’outil performant qui avait été mis en place [ndlr : l’hôpital neuchâtelois]. Maintenant, il va falloir entrer dans le concret, avec la répartition des missions et la nomination des responsables. La SNM va bien entendu collaborer avec l’institution qui sera mise sur pied pour avoir un système de qualité pour les patients.