Quelques semaines après avoir validé de nouvelles hausses non justifiées de primes, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a présenté une étude affirmant, chiffres spectaculaires à l’appui, que les revenus des médecins seraient « nettement plus élevés » qu’il ne le pensait, en particulier chez les praticiens indépendants.

Cette étude est contestée par la FMH et les sociétés cantonales de médecine. En effet, en avril 2018, une autre étude de l’Office fédéral de la statistique (OFS), avec des données plus précises et récentes, a montré des revenus moyens bien plus modestes pour les cabinets médicaux : environ 155'000 CHF/an (contre 257'000 CHF/an selon l’étude OFSP). La prochaine étude de l’OFS sur ce sujet, pour la période 2017, débutera en ce mois de novembre.

On le sait, le contexte fédéral est actuellement très tendu, avec des discussions aux enjeux financiers colossaux pour essayer de moderniser le système de santé et maîtriser ses coûts (nouvelle structure tarifaire ambulatoire ; multiples réformes de la LAMal, etc.). Au-delà d’une tentative de désinformation qui ne devrait pas résister à l’épreuve des faits à notre connaissance, vouloir imposer politiquement l’idée que les médecins sont la cause principale de la hausse des coûts, et des primes, constitue un jeu très dangereux pour toute la population suisse qui augmente et vieillit.

Nous tenons ainsi à partager publiquement notre inquiétude quant aux possibles conséquences cumulées pour les patients, dans leurs cantons, des propositions d’interventions en cours d’étude à Berne, notamment :

  • Un pouvoir de régulation accru aux cantons, sans obligation de concertation avec les partenaires (prestataires, patients) ;
  • Fermeture de cabinets médicaux lors du départ à la retraite des médecins, sans remise possible ;
  • Limitation à l’installation de nouveaux médecins spécialistes pour ralentir et restreindre l’accès aux soins spécialisés, donc onéreux ;
  • Fin de l’obligation de contracter. Donc choix plus limité pour les patients, voire obligation de changer de médecin. Et forte pression sur les prestataires pour « moins soigner » ;
  • Report croissant des coûts sur les patients/assurés pour tous les soins ambulatoires;
  • Nouvelles interventions tarifaires non concertées dans la relation médecin-patient (limitation de la durée des consultations, réduction du catalogue de prestations).

Pour le maintien d’une médecine de qualité en Suisse, les associations faitières des sociétés cantonales de médecine font aujourd’hui 3 propositions ciblées, afin de rétablir la confiance indispensable à des discussions sereines:

1. Gel par le Conseil Fédéral des primes d’assurance maladie, tant que leur fixation ne sera pas effectuée en fonction de l’évolution réelle des coûts, et plus selon les projections toujours trop prudentes des assureurs

Injustifiées comme celles de 2018 déjà, les hausses de primes 2019 validées par l’OFSP ne serviront qu’à alimenter encore davantage les réserves excédentaires des caisses (dont une partie importante risque une fois encore d’être perdue à la bourse), alors que les hausses de coûts éventuelles sont déjà largement couvertes par l’excédent de réserves accumulées. Le Conseil fédéral doit fixer les primes en fonction de l’évolution réelle des coûts constatée l’année précédente, au moins aussi longtemps que les réserves sont suffisantes pour faire face à une variation « normale » de l’ordre de 2%. D’ici là, nous demandons le gel des primes.

 2. Examen des données de l’étude de l’OFSP sur les revenus des médecins par un organisme indépendant

Les différences de résultats entre l’étude de l’OFSP et celle de l’OFS sont trop grandes pour qu’elles fondent la moindre décision de réforme pouvant impacter les prestations aux patients et les revenus des médecins, toutes spécialités confondues et tous statuts confondus. Le Conseil fédéral doit exiger une analyse des données de l’étude du bureau BASS (dont un vice-directeur de l’OFSP est membre fondateur) par un organisme indépendant libre de conflits d’intérêt, qui devra aussi identifier de manière précise l’impact réel du revenu des médecins indépendants sur les primes (en 2016, 1 franc sur 15).

3. Groupe d’experts « données du système de santé ». Avec des représentants des patients et des médecins !  

Le Conseil Fédéral est en train de constituer un groupe d'experts chargé d'élaborer une stratégie pour la collecte, le traitement et l'analyse des données dans le domaine sanitaire. Nous attendons que le Conseil fédéral démontre son souci de transparence en intégrant les représentants des patients et des médecins à ce groupe d’experts !

Nous demandons une réponse publique des autorités fédérales à ces propositions.

 

Dr Philippe Eggimann, Société médicale de la Suisse romande

Dr Florian Leupold, Verband Deutschschweizer Ärztegesellschaften

Dr Franco Denti, Ordine dei Medici del Canton Ticino