Pénurie, le mot   est   lâché par nos collègues neuchâtelois qui recherchent par voie d’annonce des médecins internistes généralistes et des pédiatres désireux de s’installer en pratique privée dans le canton de Neuchâtel car la pénurie est, comme l’hiver, arrivée. Un plan qui comporte des aides pour trouver le logement, la crèche, l’école ou encore pour simplifier les démarches administratives ainsi que pour soutenir le nouveau projet professionnel. Comment a-t-on pu, dans notre pays, dans un canton suffisamment attractif, en arriver à une telle situation ?

Clause du besoin, articulée, imposée et peu maîtrisée par nos autorités sanitaires genevoises qui avancent, dans ce qui reste une grande première suisse, à tâtons. Nous l’avons déjà dit, l’inventaire est parcellaire, mais c’est lui, et lui seul, qui fixera les quotas maximaux de droits de pratique attribués aux HUG, aux cliniques privées et autres institutions ainsi qu’aux médecins de ville. Nous attendons, comme Godot, les chiffres particuliers. Ils nous sont promis, doivent être connus dès la mise en route de la clause du besoin selon le cadre légal fédéral, mais ne viennent toujours pas. Un manque cruel de transparence ou une impossibilité à fournir réellement les chiffres hospitaliers, institutionnels et de ville ? L’inventaire reste le nerf de la guerre, car c’est là que se joueront les arbitrages pour l’attribution de nouveaux droits de pratique nécessaires et les équilibres entre les différents acteurs du secteur ambulatoire.

Absentéisme comme le nombre de collaboratrices et collaborateurs des grands hôpitaux qui ne sont pas en postes. Le système hospitalier est en tension, le personnel manque, la surcharge sur les autres employés est palpable, des inter- ventions chirurgicales non urgentes doivent être déplacées. La saison de ski est crainte en raison du nombre d’urgences potentielles liées aux traumatismes, les virus de la grippe, les cas COVID-19, les affections pulmonaires, gastriques ou autres ont été un cauchemar. Le système s’est tendu comme rarement, après deux années particulièrement exigeantes où les remerciements passagers n’auront été qu’un placebo tant la reconnaissance souhaitée va au-delà de simples applaudissements. Le Parlement s’est engagé, pour donner suite au soutien massif de la population pour ses infirmières et infirmiers, à mieux former, à améliorer les conditions de travail et à permettre une autonomie partielle et surveillée du personnel soignant en termes de facturation. Un pas certainement dans la bonne direction, mais c’est la mise en œuvre qui seule comptera.

Transfrontalier, thème abordé lors des Etats généraux de la santé le 23 novembre dernier qui ont permis de réunir les autorités et les acteurs de la santé du Grand Genève pendant une journée franco-suisse pour faire la cartographie et l’état des lieux des besoins en personnel soignant. Les titres «chocs» dans les médias des deux côtés de la frontière parlent de « cri d’alarme» tant le personnel manque du côté français avec une impression de pillage des jeunes soignants nouvellement formés. Pourtant des exemples de bonne et intelligente collaboration existent en dialyse, en radio-oncologie, en médecine hyperbare sans parler des urgences vitales, pour une gestion plus réfléchie de la mobilité transfrontalière des patientes et des patients. Le problème des ressources infirmières est un défi prioritaire à relever, en partenariat transfrontalier, mais aussi public et privé, avec un respect plus important de la formation mais aussi une revalorisation certaine en termes financiers, au risque d’un déséquilibre et d’une déstabilisation encore plus importants qu’aujourd’hui.

Intégrés, comme les soins intégrés qui verront le jour dans le Jura bernois, sous la forme du Réseau de l’Arc, sorte de copier-coller du modèle américain Kaiser Permanente. Le réseau de soins intégrés suisse va englober dans l’organisation et à sa tête à la fois des partenaires médicaux et étatiques, mais aussi du monde de l’assurance-maladie. Si l’association de Swiss Medical Network et du canton de Berne peut s’expliquer, la venue, pour former un trio novateur, de l’assureur Visana, fait de ce projet l’un de ceux qui sera le plus observé et analysé. En théorie, l’assureur partenaire a un intérêt à limiter les soins pour payer moins. C’est là où ce réseau suscite de l’intérêt et de la méfiance à la fois, car c’est dans la capacité à permettre des économies de coûts non pas dans le rationne- ment des soins, mais dans la gestion commune des situations médicales et possiblement dans la prévention qui devra faire ses preuves de supériorité. Cela prendra plusieurs années avant de pouvoir, objectivement,   établir le succès ou l’échec d’un tel projet novateur dans notre pays. Le cœur du réseau reposera sur les médecins de premier recours, qui devront être en nombre, et sur l’interprofessionnalité qui devra devenir l’évidence. Le « travailler ensemble» sera la clé de la réussite d’une telle organisation.

Désengagement ou la démission silencieuse, le « quiet quitting», terme anglo-saxon dont les réseaux sociaux raffolent, est en train d’augmenter dans le monde des entre- prises. Il correspond à un refus des surcharges de travail et de la performance, à une application stricte du cahier des charges et des heures de travail. Cette volonté de ne pas faire plus, de se contenter de faire ce pour- quoi l’on est payé, n’est pas arrivée avec une génération qui veut moins travailler, mais est la suite logique et attendue de toute la lourdeur des processus, des réglementations, des tâches administratives de plus en plus conséquentes et chronophages, de l’autonomie offerte pendant la période COVID-19 et reprise ensuite comme si un retour à une « normalité comme avant» pouvait être imposée. Le monde de la santé ne sera pas épargné par ces réflexions, par cette volonté forte de tenir compte du monde d’après, par un questionnement sur l’avalanche de normes qui coupent les actions volontaires et phagocytent le temps de travail à disposition. Les soignants le disent depuis des années, le temps consacré au patient est le temps des soins, ce pourquoi ils ont choisi cette filière, la fierté de pouvoir apporter à l’autre et l’aider. Nous devons rester attentifs face à ce phénomène de société et y apporter les réponses qui s’imposent.

Comme Godot là aussi, nous attendons encore et toujours une véritable réforme du tarif médical et une vision globale de nos activités.

Source : Editorial de La Lettre de l'AMGe du mois de février 2023