Pourquoi et de quoi s’agit-il ?

D’un côté, ce dont absolument tout le monde est convaincu et pour une fois d’accord, des patients et leurs proches à l’ensemble des citoyens payeurs de primes, en passant par les politiciens unanimes et l’ensemble des soignants relayés par les différents médias : il faut d’une part impérativement promouvoir les soins ambulatoires et à domicile, en évitant au maximum les hospitalisations inadéquates et, d’autre part, faire effectuer le plus possible de soins médicaux aux médecins de 1er recours (MPR), dont les coûts sont reconnus comme plus « économiques » pour le système de santé. Et ce pour le bien-être des patients et de leur entourage, mais aussi en vertu de l’art. 56 LAMal qui stipule que « les prestations médicales doivent répondre aux critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité ».

De l’autre, le tarif médical ambulatoire imposé par M. Alain Berset au 1er janvier 2018, y compris aux MPR : il comporte en effet, entre autres absurdités, des « limitations » strictes au temps autorisé pour recevoir les patients ou coordonner leurs soins « en absence » de ces derniers.

L’incroyable paradoxe réside bien là ! Car ces « limitations » empêchent très souvent toute mise en oeuvre ou poursuite de soins à domicile, dont la coordination implique non seulement le patient et ses proches, mais aussi l’ensemble des autres soignants (inter-professionnalité !), les instituts d’examens médicaux et les services sociaux. Pour preuve, 2 chiffres : il est accordé 30 minutes / 3 mois au temps consacré dans ce domaine aux patients de 6 à 75 ans, ou 60 minutes / 3 mois aux plus jeunes ou plus âgés ou à ceux « présentant un besoin accru en soins ». C’est impossible, absurde et révoltant.

Nous l’avions pourtant déjà exprimé en janvier lors d’une conférence de presse organisée par l’AMGe : pas un mot n’en a été relayé, dans aucun des médias présents. Etonnant aussi qu’aucune association de patients ne le dénonce publiquement. Nos collègues MPR de Neuchâtel s’en sont plaints à mi-avril dans un courrier à M. Alain Berset, exemples concrets à l’appui. La réponse leur fût adressée à mi-juillet par le directeur de l’OFSP (M. Pascal Strupler) : il y prétend que « la médecine de famille tient un rôle déterminant dans le système de santé et que l’OFSP a à coeur de continuer son renforcement » (en nous empêchant de soigner correctement les patients chroniques ou affaiblis ?!). Puis il y précise que « les limitations » sont particulièrement strictes pour les positions tarifaires désignant des « prestations médicales en l’absence du patient », compte tenu de la forte augmentation du volume facturé pour ces positions (donc plus la population en aura besoin, moins de minutes seront disponibles à l’avenir par patient !?). Enfin, il y mentionne que « ces adaptations visent à répondre au mieux aux exigences fixées par la LAMal et que ces limitations servent en particulier à garantir l’économicité des prestations » (alors qu’elles ne mènent exactement qu’au contraire : moins de capacités de soins non hospitaliers !). Tout cela est erroné et non recevable.

La faîtière mfe (médecins de famille et de l’enfance Suisse) a alors effectué en juin un vaste sondage national. Résultats : « la gestion des prestations limitées » en absence du patient « est un problème important pour 87,4 % des membres» et « quotidien pour 62,2 % » ! Et « 30 % ont renoncé entièrement à facturer les prestations fournies au-delà des limites » ! Ainsi, « la durée moyenne des prestations non facturées s’élève à 49 minutes par jour » !

Quelle ineptie du système et quel injuste manque de respect envers la valeur du travail de notre spécialité, obtenue après au minimum 5 ans de formation post-graduée hospitalière agréée et ambulatoire, sanctionnée par un examen fédéral de spécialité très exigeant. Bel encouragement pour la relève et digne incitation au développement d’un système voulant favoriser le rôle des généralistes-internistes.

Stop à l’hypocrisie !

Où en est-on ?

Incompréhension et déception lorsque la direction de mfe nous a recommandé en juillet de suivre les propositions de l’OFSP : « Rechercher une solution au cas par cas avec les assureurs » (?!). Comme si la masse quotidienne de travail permettait encore plus de tâches administratives, notamment pour quémander d’aléatoires accords dont les réponses parviendraient au mieux bien après que la situation médicale l’exigeait !

Mais sentiment de soutien lorsque la FMH, dans l’excellent édito du Dr Urs Stoffel du 8 août, « rejette catégoriquement toute limitation des prestations ambulatoires au temps dont le seul but est d’empêcher une augmentation du volume »; et cite deux avis de droits confirmant que « le droit des patients à une prestation rendue obligatoire par la LAMal (car la plus efficace et économique, ici : le maintien à domicile) ne peut pas être restreint par une limitation dans le tarif ».

Vous avez dit « schizophrénie » ?

Pour le comité de l’AGeMIG,
Dr Didier Châtelain
Président

Source :

La Lettre de l'AMGe n°7, septembre 2018 : https://www.amge.ch/site/wp-content/uploads/Lettre-de-lAMG-septembre-pour-internet.pdf